Serment au roi : Pour une vraie rupture symbolique

2022/12/06 | Par Simon Rainville

Il y a des années que j’affirme que le mouvement indépendantiste doit arrêter de parler pour plutôt agir. L’action politique est la seule façon de mettre fin à notre dépendance. Et cette action doit d’abord et avant tout s’en prendre aux symboles du pouvoir canado-britannique et de soumission du Québec. Les relations humaines sont toujours régies par des symboles. L’anthropologie le sait depuis des décennies, mais il semble que nous n’en prenions pas acte.

Les relations de pouvoir sont sanctifiées par des symboles, aujourd’hui comme hier. C’est pourquoi la loi 101 est si importante dans l’histoire du Québec. Ce n’est pas tant la pratique quotidienne du français qui est fondamentale dans cette loi que la symbolique derrière : ici, la langue commune est le français, là où l’on nous a toujours obligés au bilinguisme ou, pire, on nous a réduits à une masse à assimiler. Le renforcement de cette loi, notamment en l’appliquant aux études collégiales, va donc bien au-delà de sa portée avouée, la promotion du français comme langue commune. Il en va de l’affirmation du Québec en tant qu’entité politique distincte du Canada.

En ce sens, la défiance péquiste au sujet du serment inique de loyauté envers la royauté britannique peut se révéler de haute importance, si le PQ la joue jusqu’au bout. Historiquement, ils ont été rares les moments où le Québec s’est tenu debout, vraiment, face au Canada. Les trois députés n’ont pas le loisir de reculer, sous peine de se couvrir de ridicule et, par le fait même, d’ajouter une autre défaite symbolique à la longue liste qui jalonne notre histoire.
 

QS préfère un siège bien au chaud

Québec Solidaire, après les éternelles tergiversations auxquelles ce parti nous a habitués, incapable semble-t-il de prendre une décision affirmée dans le dossier de l’indépendance, a fini par rentrer dans le rang, laissant le PQ seul devant le symbole colonial britannique. Pendant que le PQ fait le pied de grue devant l’Assemblée nationale, symboliquement « défendue » par la police, QS tente encore de récupérer une initiative qui ne vient pas de ses membres.

Autrefois membre d’Option nationale qui affichait clairement son indépendance, Sol Zanetti montre jour après jour qu’il préfère, à l’instar de son parti, un siège bien au chaud à l’Assemblée à une lutte de tous les instants. Il brandissait hier sur les réseaux sociaux un projet de loi sur l’abolition du serment d’allégeance à la couronne anglaise. Il s’enorgueillissait de ce projet qui semble maintenant susciter l’adhésion du PLQ.

En matière de défense du Québec, le Parti libéral nous a pourtant montré depuis longtemps que son appui à toute forme de geste de rupture avec le Canada était à prendre avec des pincettes. À moins de 10% dans les intentions de vote des francophones, peut-être se dit-il qu’il n’a plus rien à perdre. Je crois plutôt que son appui à ce projet de loi montre à quel point il est insignifiant symboliquement.

Dans un pays conquis et annexé comme le Québec, un symbole ne se détruit pas par une loi provinciale votée dans le déshonneur. Puisque, même si cette loi devait voir le jour – ce qui est loin d’être fait, la valse-hésitation ayant encore de belles heures -, elle n’en sera pas moins limitée symboliquement, d’autant plus qu’il s’agit de rendre le serment facultatif et non pas de l’abolir. Et cette loi aura été, une fois de plus, une farce politique et une humiliation pour le Québec : choisir le roi du colonisateur plutôt que la liberté du peuple québécois dans une assemblée que l’on ose qualifier de « nationale ».

Symbole pour symbole, lequel gagne le combat? D’un côté, les élus d’un peuple conquis qui voteront potentiellement une loi qui veut détruire un symbole de soumission. De l’autre, les élus d’un peuple conquis qui défendent la règle de droit du colonisateur et pensent qu’il faut absolument passer par cette règle pour agir. Dans les deux cas, le Canada gagne encore : nous restons dans le cadre canado-britannique. C’est demeurer là où le pouvoir fédéral veut bien nous voir : dans des chicanes intestines dans le cadre des lois canadiennes.
 

Ce qu’aurait été une vraie rupture

La vraie rupture symbolique, sur ce sujet comme sur d’autres, sera de passer outre le cadre canadien, outre la tradition britannique, outre notre soumission atavique. Une vraie rupture aurait été de voir les députés, à l’unanimité, condamner la décision de la CAQ d’interdire l’accès au Salon bleu. Mieux, elle se serait incarnée dans un geste symbolique fort où tous les députés auraient renié ce serment ignoble.

Mais cette CAQ, dont le vernis autonomiste s’effrite toujours davantage en laissant de plus en plus son bleu foncé conservateur sortir au grand jour, préfère jouer la carte du pragmatisme, soit celle de s’occuper des « vraies affaires », comme l’inflation. Comme si on ne pouvait pas marcher et mâcher de la gomme en même temps, comme le disait Jacques Parizeau. Mais comment demander à des comptables productivistes de comprendre quoi que ce soit aux symboles?

La seule voie de rupture est celle qui mettra le peuple québécois sur la voie de la liberté, sur la voie de l’indépendance politique, sur la voie qui mène à lui-même. L’autonomisme sera toujours une risée, ne faisant que camoufler la domination canadienne.
 

Pour gagner la guerre, il faut mener des batailles

Le PQ a l’occasion de servir une leçon de décolonisation aux Québécois. Il est maintenant primordial qu’il tienne la ligne dure, jusqu’au bout, pour une fois. Il en va de l’honneur du Québec. Et de combats symboliques en combats symboliques, le Québec pourrait se surprendre, non pas à être « quelque chose comme un grand peuple », mais un grand peuple, capable d’exister. La victoire finale est faite de petites victoires stratégiques. Pour gagner la guerre, il faut mener des batailles.