Le Plan Nord 2.0 de Legault-Fitzgibbon

2023/01/27 | Par Pierre Dubuc

Dans son édition du 17 janvier, le Journal de Montréal rapportait que la sous-ministre québécoise associée aux Mines, Nathalie Camden, a fait miroiter devant un comité sénatorial américain l’électricité au rabais du Québec pour attirer les investissements américains dans les mines et la filière de la batterie électrique.  

À l’époque du Plan Nord de 2011 du gouvernement Charest, celui-ci s’était vanté de la parution d’un éditorial du New York Times encensant son projet. Nul doute que le projet de filière électrique en cours d’élaboration du duo Legault-Fitzgibbon se mériterait les mêmes éloges, car ses contours laissent entrevoir un Plan Nord 2.0. 
 

Le Plan Nord Charest

Rappelons qu’en mai 2011, le gouvernement de Jean Charest proposait un programme de développement économique des régions nordiques (au nord du 49e parallèle). Il prévoyait des investissements publics et privés de l'ordre de 80 milliards de dollars dans un horizon de 25 ans. Le plan était axé sur le développement minier avec l’apport énergétique d’Hydro-Québec. Aujourd’hui, la plupart des mines sont de grandes consommatrices d’énergie.

La chute du prix des matières premières au cours dans années subséquentes avait ramené à de plus modestes objectifs et résultats le Plan Nord Charest. Mais il est tout de même intéressant de rappeler que le gouvernement Charest s’engageait, dans le cadre du Plan Nord, à développer, en plus des 4 500 MW produits sur ce territoire annoncés dans la Stratégie énergétique du Québec 2006-2015, 3 500 MW d’énergie propre et renouvelable supplémentaire, soit 3 000 MW d’hydroélectricité, 300 MW d’éolien et 200 MW provenant d’autres sources d’énergie renouvelable. Les investissements requis étaient estimés à 25 milliards de dollars.

On prévoyait l’aménagement des centrales hydroélectriques de petite et de moyenne taille (moins de 400 MW), le plus souvent de type « au fil de l’eau », mais également des projets majeurs, comme la construction de deux centrales (Petit-Mécatina-3 et Petit-Mécatina-4), pour un total de 1 200 MW. À titre de comparaisons, la Romaine a une puissance de 1 550 MW.
 

Un plan américain

Aujourd’hui, l’expansion de l’exploitation minière est à l’ordre du jour dans le contexte du « friend-shoring », c’est-à-dire du plan de la Maison-Blanche de découplage de l’économie américaine de l’économie chinoise et de la consolidation de ses alliances avec des pays « amicaux » comme le Canada en prévision d’un affrontement avec la Chine. Pour remplacer les matières premières en provenance de la Chine, le Département de la Défense a publié une carte identifiant les principaux minerais stratégiques en Amérique du Nord. Le Pentagone s’est même engagé à contribuer au financement de projets miniers au Canada pour en accélérer la mise en exploitation.
Même si plusieurs de ces minerais seront dédiés à l’industrie militaire, le tout est présenté sous le chapeau de la transition écologique et de son grand projet environnemental : la voiture électrique. Ainsi, le lithium est une composante essentielle de la batterie des voitures électriques, mais il trouve aussi des applications dans l’industrie aérospatiale où les alliages aluminium-lithium permettent des économies de poids de 5 % et 30 % de plus de résistance.

Le protectionnisme de l’Oncle Sam

Le gouvernement Legault présente la filière de la voiture électrique comme un nouvel eldorado pour le Québec. Examinons cela d’un peu plus près. La filière peut se décomposer dans les éléments suivants : l’extraction et le traitement des minerais, la fabrication des anodes et des cathodes, puis des cellules et l’assemblage des batteries, pour terminer avec la construction des voitures.

L’administration Biden a adopté l’Inflation Reduction Act (IRA) qui prévoit des milliards pour les nouvelles technologies et l’industrie « avancée » afin de promouvoir la construction de voitures électriques aux États-Unis. Dans sa première mouture, l’IRA réservait des généreuses subventions à l’assemblage des voitures électriques aux États-Unis, ce qui aurait été un désastre pour l’industrie automobile au Canada et au Mexique. Devant les protestations des deux pays, Washington a fait marche arrière et la version finale du projet de loi adopté par le Congrès américain étend le crédit d’impôt à tous les véhicules électriques assemblés en Amérique du Nord.

Pour ne pas être en reste, la ministre des Finances Chrystia Freeland a annoncé des crédits d’impôt de 6,7 milliards pour des investissements dans l’énergie « propre », tout en précisant que ce n’était qu’un « paiement initial » sur des investissements plus importants dans le budget de 2023.

Le Congressional Budget Office des États-Unis évalue à 374 $US milliards les incitatifs fiscaux de l’IRA au cours des prochaines années. Mais cela pourrait être davantage étant donné qu’il n’y a pas de plafond prévu. Le Crédit Suisse prédit que le montant pourrait atteindre 800 $US milliards. Si le Canada voulait suivre le rythme, la facture s’élèverait à la somme astronomique de 80 $ milliards !
 

La géopolitique de la filière électrique

Malgré de tels investissements, la bataille protectionniste n’est pas nécessairement gagnée. Le président Macron s’est rendu à Washington pour protester contre ces mesures protectionnistes et a demandé que l’industrie automobile européenne ne soit pas exclue de l’IRA et que l’Europe soit considérée comme faisant partie des pays « amis » (friend-shoring) dans le cadre de l’offensive américaine de découplage avec l’économie chinoise.

L’économie européenne est aux abois avec l’augmentation vertigineuse des prix de l’énergie, conséquence de la rupture des approvisionnements en gaz naturel et en pétrole russes. Plusieurs entreprises énergivores envisagent de délocaliser leur production vers l’Amérique du Nord. Déjà, les États-Unis profitent de la situation pour exporter énormément de gaz naturel vers l’Europe. Le marché est en pleine explosion. Pour le satisfaire, plus de 200 méthaniers sont actuellement en construction dans les cales sèches des chantiers maritimes de l’Asie.  

L’influent magazine The Economist, dans son édition du 26 novembre, met en garde Washington des conséquences géopolitiques du maintien d’une trop grande dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis. La guerre en Ukraine a poussé l’Europe dans les bras des États-Unis, mais siphonner les investissements européens aux États-Unis pourrait mettre à risque l’alliance nord-atlantique au grand plaisir de la Russie et de la Chine. Le magazine propose aux États-Unis de se montrer magnanime envers l’Europe, mais à une condition : que celle-ci augmente ses dépenses militaires. Macron vient de répondre avec un budget militaire en hausse d’un tiers pour un montant astronomique de 413 milliards d’euros.

L’inclusion de l’Europe dans le marché protectionniste de l’IRA avec ses avantages fiscaux serait une très mauvaise nouvelle pour le Canada. L’industrie automobile ontarienne en souffrirait et les gouvernements fédéral et ontarien se verraient contraints de s’engager dans une folle surenchère de subventions sous toutes ses formes.
 

De renoncement en renoncement

Encore une fois, le Québec financerait à même ses impôts l’industrie automobile ontarienne. Le Québec a fait, depuis belle lurette, son deuil sur un possible développement d’usines d’assemblage d’automobiles. Le Québec cherche à se consoler avec la fabrication des autobus scolaires et des autocars des entreprises Lion et Nova Bus, si elles ne sont pas assemblées aux États-Unis, comme la commande de 600 autocars pour la ville de Chicago, qui seront assemblées à Plattsburgh.

Certains ont laissé croire que le Québec pourrait intéresser le Groupe Volkswagen qui veut implanter une usine de batteries au Canada, mais rapidement on a compris que ce serait en Ontario. Le ministre Fitzgibbon a aussi renoncé à l’implantation d’usines d’assemblages de batteries au Québec. « Les investisseurs désirent les usines de batteries près des usines d’automobiles », a-t-il déclaré. Déjà, à Windsor en Ontario, l’entreprise Stellantis NV et la Sud-Coréenne LG Energy Solution ont investi, avec un soutien financier de 529 millions $ d’Ottawa, cinq milliards pour une usine de construction de batteries qui va créer 3 000 emplois.

Le ministre Fitzgibbon a toujours « bon espoir » d’attirer un cellulier responsable de la dernière étape avant l’assemblage des batteries. Les entreprises Britishvolt et StromVolt ont fait miroiter des projets, mais ont fait marche arrière l’an dernier.

Pour l’instant, la filière se résume aux entreprises BASE et POCO Chemical Co. Ltd qui vont produire des cathodes et des anodes, les principales composantes des batteries, de même que l’entreprise Vale productrice de sulfate de nickel dans le parc industriel de Bécancour. POCO Chemical Co. Ltd a investi 500 millions $ à cet effet.
 

La « vocation » minière du Québec

Dans la filière électrique, la « vocation » du Québec sera vraisemblablement l’exploitation minière. Et les États-Unis ne sont les seuls demandeurs. Privés des ressources minières de la Russie et envisageant des problèmes d’approvisionnement en Chine avec la détérioration des relations entre la Chine et les États-Unis, le chancelier allemand et les premiers ministres du Japon et de la Corée du Sud sont récemment venus au Canada avec leur carnet de commandes de matériaux stratégiques pour la construction de véhicules électriques.

Pour comprendre leur intérêt et prendre la mesure des pressions américaines à venir, soulignons que la Chine produit actuellement 60 % des terres rares utilisées dans le monde. Et, même si elle ne domine pas l’exploration et l’extraction du cobalt, du lithium et du nickel, elle est notamment bien présente sur le marché des matériaux stratégiques en Argentine, en Bolivie, au Chili, en République démocratique du Congo, en Afrique du Sud et en Zambie. Elle raffine 40 % du cuivre, 59 % du lithium, 68 % du nickel et 73 % du cobalt extraits mondialement. Elle est le principal producteur de cathodes, d’anodes et d’électrolyte entrant dans la fabrication des batteries.

La Russie est également un joueur majeur sur le marché des minéraux stratégiques. Elle est un des principaux producteurs de palladium, scandium, titane, nickel et possède parmi les principales réserves de terres rares au monde.

Le Québec est bien pourvu en matériaux stratégiques (graphite, cuivre, lithium, niobium, zinc, nickel, cobalt, terres rares). Il détient 25 % des réserves de lithium en Amérique du Nord et d’importants gisements de graphite.

À l’heure actuelle, le lithium et le graphite sont peu ou pas exploités au Québec, mais les choses vont changer rapidement. D’abord, à cause de l’augmentation des prix. La tonne de spodumène, genre de farine de lithium, est passée de 800 $ en 2017 à plus de 5 000 $ US cette année, propulsée par la popularité des véhicules électriques dans le monde.

À cet incitatif financier, s’ajoutent les pressions de l’administration américaine. Le Congrès américain a adopté des mesures pour encourager le développement de la chaîne d’approvisionnement de minéraux et composantes de batteries. Au mois de juin dernier, les États-Unis ont pris l’initiative de la création d’un Minerals Security Partnership, décrit comme « l’OTAN métallique », regroupant l’Australie, le Canada, la Finlande, le Japon, la Corée du Sud, la Suède et la Grande-Bretagne pour activer la coopération entre ces pays et amener des investissements pour la production, le traitement et le recyclage de minéraux critiques.

Le Canada s’est activé. Ottawa a produit une liste priorisant 31 minéraux, dont plus particulièrement le cobalt, le coltan, le cuivre, le graphite, le lithium et les terres rares. Le budget fédéral de 2022 allouait 3,8 milliards $ pour stimuler l’exploration de minéraux critiques, les investissements dans le traitement des minéraux et leur recyclage et étendre les partenariats en courtisant les investisseurs étrangers. Le gouvernement veut alléger le processus d’autorisation d’exploitation et vient d’ailleurs d’autoriser l’exploitation d’une mine de lithium à la Baie-James.

Au Québec, Nemaska Lithium, Sayona Mining et Nouveau Monde Graphite planifient l’exploitation dans des mines à ciel ouvert. Plusieurs projets sont situés dans le Nord, d’autres dans le Sud, comme les projets miniers de graphite dans des zones de villégiature de Lanaudière, des Laurentides et de l’Outaouais.

Le gouvernement du Québec est partenaire à parts égales de Nemaska Lithium avec la multinationale Livent mais, au Québec, à peine deux mines sur vingt-deux sont de propriété québécoise, alors qu’en Ontario dix-sept minières sur trente-cinq sont au moins de moitié de propriété canadienne. Le ministre Pierre Fitzgibbon a déclaré que « la propriété des mines n’avait pas d’importance ». Soulignons, enfin, que les produits miniers ne représentent que 15 % du prix de la fabrication d’une cellule.
 

Des choix non écologiques

La filière de la voiture électrique est présentée comme le choix écologique par excellence. Mais le projet est hautement questionnable. Premièrement, les fabricants privilégient actuellement la production de véhicules utilitaires sport (VUS) lourds avec du clinquant superflu et du tout technologique trop dispendieux pour les consommateurs pour permettre d’atteindre les objectifs fixés par les gouvernements pour le remplacement des voitures à combustion thermique par des voitures électriques.

De plus, l’empreinte carbone de ce type de véhicule ne devient positive qu’au-delà de 100 000 kilomètres parcourus contre 15 000 pour un petit véhicule électrique. Continuer à proposer des modèles de sept places qui ne transportent qu’une personne 98 % du temps reste une aberration écologique, même en roulant à l’électrique.

Deuxièmement, l’exploitation des minéraux entrant dans la fabrication des batteries et des voitures mène à des désastres écologiques. Ainsi, plusieurs populations dans le monde (Serbie, Espagne, États-Unis, etc.) se sont mobilisées pour empêcher l’extraction de lithium sur leur territoire.

Le Québec ne sera pas différent. Il y a déjà des mobilisations en cours dans le Nord autochtone, en Abitibi-Témiscamingue, dans Lanaudière, les Laurentides et en Outaouais. Bien sûr, on ne peut s’opposer à toute exploitation minière. Mais, oui, on peut s’opposer à l’exploitation minière pour un projet de transition énergétique qui n’a aucun sens du point de vue écologique.