Le Canada est un cancre

2023/06/14 | Par Monique Pauzé

L’autrice est députée du Bloc Québécois
Depuis plusieurs années, nous sommes aux prises avec la crise climatique qui entraine une multiplication des catastrophes naturelles, un déclin de la biodiversité et des écosystèmes essentiels à la survie de l’humanité.  Nous sommes de plus en plus conscients que la façon dont nous avons obtenu le confort dans lequel nous vivons s’est faite à un coût dévastateur et nous en payons le prix.

L’urgence d’agir

Nous n’avons qu’à penser à la quantité quasi historique de précipitations qui se sont abattues sur le Québec au début mai causant inondations parmi les plus importantes jamais enregistrées. Le verglas qui a privé de nombreux Québécois d’électricité et qui a mis à mal notre réseau électrique et maintenant les feux de forêt catastrophiques.

D’un point de vue économique, c’est aussi désastreux et l’avenir n’augure rien de positif.
Les coûts des changements climatiques s’accumulent au fil du temps. Le ralentissement économique attribuable au climat deviendra de plus en plus important, sans compter les coûts pour le système de santé.

Car, au-delà des dommages matériels, il y a l’être humain. L’Organisation mondiale de la Santé affirme d’ailleurs que les changements climatiques représentent la plus grande menace pour la santé dans le monde au XXIe siècle.

Nous n’avons qu’à penser aux canicules alors que la vague de chaleur de 2018 a emporté plus de 60 personnes à Montréal seulement. La hausse des maladies cardiovasculaires, des cancers, des maladies pulmonaires et rénales découlant de l’eau contaminée, de l’air toxique, des sols souillés, de la température toujours plus élevée (donc plus d’ozone et de smog), des feux incontrôlés, de la perte de productivité, de l’atteinte à la santé mentale sont autant de problèmes accentués par les changements climatiques.

Bref, tous les voyants sont au rouge. Il faut agir. Les gouvernements doivent bouger rapidement, mais le gouvernement du Canada avance malheureusement à pas de tortue. Les libéraux de Justin Trudeau tentent de faire bonne figure en mettant un ex-militant écologiste à la tête du ministère de l’Environnement. Depuis son arrivée en poste, le bilan du ministre Steven Guilbeault est au mieux, minime.

Un rang peu enviable

Si les attentes étaient grandes sur la scène internationale lors de l’arrivée en poste de Steven Guilbeault, elles ont laissé place au scepticisme. Ce pays pétrolier demeure un cancre.

En 2020, divers organismes (German Watch, Climate Action Network, New Climate Institute) dévoilaient leurs rapports. On y apprenait que le Canada occupait un rang peu enviable, arrivant en 58e place sur 63 pays concernant l’indice de performance dans la lutte aux changements climatiques. Cet indice évalue quatre catégories : émission de GES, énergie renouvelable, consommation énergétique et politiques climatiques.

Au sein du G20, il arrive en tête de liste pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant.

La principale source d’émission de GES au Canada est le secteur pétrolier et gazier et le fédéral ne fait rien pour s’attaquer à la source du problème. Ce n’est pas pour rien qu’il se situe au 2e rang des pays du G7 qui donnent le plus de subventions aux énergies fossiles. Les engagements pris par le ministre Guilbeault à la COP 26 ont changé la donne, mais il semble faire marche arrière.

Si les subventions pour les pétrolières coulent à flots, on ne peut pas en dire autant pour la production d’énergies renouvelables alors que le Canada se retrouve à la 54e position sur 61 concernant les efforts déployés dans ce secteur. Le gouvernement Trudeau finance l’industrie la plus polluante sur son territoire, onze fois plus que les énergies propres alors que la moyenne des subventions aux énergies fossiles du G20 est de 4 pour 1. C’est un non-sens.

Le temps passe, mais le bilan canadien ne s’améliore pas. En 2022, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié son analyse annuelle de l’économie canadienne en faisant le point sur le degré d’avancement du Canada dans sa route vers la neutralité carbone. Un graphique montre la quantité de GES émise par l’économie canadienne pour chaque dollar de richesse produite.  Le Canada apparaissait comme le pire pays du club des pays développés aux côtés de l’Australie, loin derrière des économies réputées pour être peu regardantes en matière environnementale, comme les États-Unis ou la Pologne.

Les sources sont nombreuses et elles dépeignent toutes le même sombre portrait.

À la recherche de positif

Quand un bateau coule, on cherche quelque chose à quoi s’accrocher, on cherche des bouées de sauvetage. J’ai donc tenté de mettre en lumière le peu d’avancées faites au cours des dernières années. Malheureusement, chaque fois qu’on pense avoir la tête hors de l’eau, le ressac se fait sentir.

  • Au premier chef, il y a la norme fédérale pour les véhicules à zéro émission exigeant que les constructeurs vendent 20% de véhicules légers — incluant les VUS — zéro émission dès 2026. Ce seuil progressera annuellement pour s’établir à 60% en 2030 et jusqu’à 100 % dès 2035. Pourtant, même si cette norme vise à rendre plus accessibles les véhicules électriques aux acheteurs, le parc automobile du gouvernement canadien trône toujours au sommet du palmarès des parcs les plus polluants.
  • Modifications de la Loi canadienne de protection de l’environnement. La loi aurait pu aller beaucoup plus loin et des éléments essentiels de transparence et de consultation du public, de prévention de la pollution ont été supprimés.
  • Le Canada a mis en place un Plan de réduction des émissions pour 2030 visant à réduire ses émissions de 45% sous les niveaux de 2005 d’ici 2030 et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. On ne peut pas être contre la vertu. Or, ce n’est pas le premier plan déposé par le fédéral et aucun n’a été respecté et plusieurs experts doutent déjà que le pays puisse parvenir à quoi que ce soit sans un changement de cap majeur. Selon eux, tout porte à croire que la réduction des GES ne sera pas à la hauteur attendue et qu’avec des changements importants, cette baisse se situerait plus entre 25 et 35%.
  • Lors de la COP 15, l’Accord Kunming-Montréal visant à protéger la biodiversité fut entériné. Comme un trop grand nombre d’accords, celui de Montréal est non contraignant. Donc, comme on peut actuellement exploiter du pétrole, du gaz ou des mines sur des aires protégées au Canada, on peut se demander en quoi elles sont vraiment protégées.
  • Lors de la COP26 à Glasgow en 2020, le Canada a emboité le pas à la communauté internationale afin de mettre fin aux subventions destinées aux énergies fossiles. Comme on l’a vu précédemment, le Canada trône toujours au 2e rang des pays du G7 qui financent le plus les pétrolières et gazières. Le gouvernement mise sur le captage et le stockage du carbone ainsi que la production d’hydrogène, mais ce sont encore des subventions qui iront aux énergies fossiles.
  • En 2022, la COP 27 s’est conclue avec une entente pour la création d’un fonds pour les dommages et préjudices subis par certains pays en raison de la crise climatique. Des milliards ont ainsi été mobilisés pour les pays en développement durement touchés par la crise climatique. Si le lobby pétrolier était bien présent à la COP26 qui se tenait à Glasgow, il l’était encore plus en Égypte. 636 lobbyistes des énergies fossiles, affiliés à certains des plus gros géants pollueurs du pétrole et du gaz, dont Enbridge, étaient inscrits pour les discussions climatiques à la COP27. Cela représente une augmentation de plus de 25% par rapport à l’année précédente. Le Canada, qui avait un pavillon pour la première fois depuis le début des COP, a utilisé ce dernier pour donner une tribune aux pétrolières. À trois reprises, elles ont été invitées à y tenir des activités et conférences. C’est tout simplement aberrant.
  • Finalement, il y a eu la mise en application des lois sur l’utilisation du plastique à usages uniques en 2022.  

Et ça continue

Le bilan du ministre de l’Environnement est décevant. Steven Guilbeault ne sert pas la cause environnementale ou le bien commun, il sert le gouvernement Trudeau qui lui, sert les pétrolières.

Au printemps 2022, le ministre autorisait le projet Bay du Nord au large de Terre-Neuve qui devait produire environ 300 millions de barils de pétrole.  Un an plus tard, on apprenait que le projet vise plutôt à extraire plus d’un milliard de barils. L’approbation faite par le ministre est venue quelques jours à peine après que l’ONU eut affirmé que le financement de nouveaux projets de combustibles fossiles était « une folie morale et économique ».

De plus, comme le transport maritime fut exclu de l’étude d’impact, les dommages qui seront causés à des populations fragiles comme le saumon, la baleine à bosse et la morue n’ont pas été évalués.
Devant un tel constat, plusieurs groupes environnementaux ont décidé en février dernier de poursuivre le gouvernement fédéral devant la cour fédérale pour contester le fait que le ministre n’a pas jugé bon de tenir compte des émissions du projet en aval. Soulignons que 90% des GES sont produits par la combustion du pétrole.

Selon l’Agence internationale de l'énergie (AIE), les investissements dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers ne résoudront pas la crise énergétique.  Même si l’Agence préconise que les solutions de rechange soient plus efficaces pour assurer la sécurité énergétique, le Canada demeure un pays pétrolier et Steven Guilbeault n’y changera rien.

La preuve? Le Canada est le quatrième pays producteur de pétrole au monde. Le secteur de l’exploitation pétrolière et gazière a connu une hausse de 74% au cours de la même période. Ce n’est pas en autorisant encore plus de nouveaux projets polluants que M. Guilbeault inversera la tendance.