Nationalisation de l’éolien : un débat à reprendre

2023/09/08 | Par Pierre Dubuc

Un reportage de Thomas Gerbet de Radio-Canada (14/08/2023) nous apprend qu’Hydro-Québec a lancé des appels d’offres pour des parcs éoliens dans dix zones du territoire québécois, la plupart situés dans la vallée du Saint-Laurent. Les promoteurs privés, comme Innergex ou Hydroméga, sont à la manœuvre pour convaincre les municipalités et les agriculteurs d’accepter leurs propositions. L’appel d’offres devant se terminer le 12 septembre, les maires des municipalités concernées se sentent bousculés par un échéancier trop court.

Le développement envisagé de l’éolien n’est pas marginal. Selon Radio-Canada, le nombre d’éoliennes doit passer de 2212 actuellement à 3 000 d’ici la fin de 2030. Ces éoliennes étant plus grandes et générant plus de puissance, leur production d’électricité va doubler d’ici 2030 et quadrupler d’ici 2040.

Le plus extraordinaire est que cette expansion de la production éolienne se fait sans aucun débat sur sa pertinence, sur l’emplacement des parcs éoliens, mais surtout sur le fait qu’elle est confiée au secteur privé. Quelques voix citoyennes d’opposition s’élèvent, mais elles sont accusées de s’opposer à la transition énergétique et d’être atteintes du syndrome du « pas dans ma cour ».

Un débat amorcé, puis abandonné…

 

Lorsque sont apparues les premières éoliennes en Gaspésie et dans le Bas-du-Fleuve en 2006, le débat sur la privatisation a fait rage. Les syndicats d’Hydro-Québec menaient depuis deux ans une campagne publique contre la privatisation du secteur éolien en rappelant que les Québécois se sont prononcés lors d’une élection référendaire en 1962 pour la nationalisation de l’électricité. Nous avons alors choisi, rappelaient-ils, de contrôler collectivement notre production d’électricité afin de profiter de cette ressource naturelle, d’assurer notre sécurité énergétique et d’offrir des tarifs avantageux. À aucun moment depuis, n’avons-nous décidé collectivement de revenir sur cette décision, soit par référendum ou lors d’une élection.

 

Le Parti Québécois avait adopté lors de son Conseil national du 29 octobre 2006 une proposition pilotée, entre autres, par le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre), stipulant que « sous un gouvernement du Parti Québécois, Hydro-Québec prendra en charge le développement éolien via la nationalisation ».

 

Quelques semaines plus tard, Québec Solidaire emboîtait le pas lors de son congrès et adoptait une résolution prévoyant qu’un gouvernement de Québec Solidaire « nationalisera le secteur éolien ». Dans une entrevue à la Presse canadienne, dont le compte-rendu a paru dans les médias du 13 janvier 2007, le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), M. Bernard Généreux, exhortait le gouvernement Charest à « ouvrir le débat sur la nationalisation » de l’énergie du vent. Il posait une question fort pertinente : « L’hydroélectricité est publique, pourquoi l’éolien nous échapperait? »

 

Déjà, Legault…

 

Au Parti Québécois, deux têtes d’affiche du parti s’étaient opposées, sans succès, à la proposition du SPQ Libre, soit Rita Dionne-Marsolais et… un certain François Legault! Le chef André Boisclair s’était, par la suite, rangé de leur côté en opposant une fin de non-recevoir à la décision prise démocratiquement par les membres de leur Conseil national.

 

Les promoteurs de la résolution sur la nationalisation de l’éolien au Conseil national du Parti Québécois avaient pris soin d’expliquer qu’il fallait regarder vers l’avenir et non le passé, que la nationalisation devait être comprise dans le sens d’une « appropriation » de nos richesses naturelles et non d’une « expropriation » des parcs éoliens existants.

 

La nationalisation de l’éolien ne signifiait pas non plus que la société d’État se mette elle-même à fabriquer des pales, des tours et des turbines. Hydro-Québec ne s’était pas improvisée cimentière, entreprise de camionnage, ni firme de génie-conseil pour construire les grands barrages qui ont fait sa renommée.

Le coût de la privatisation

Le développement du secteur éolien par l’entreprise privée nous était alors présenté comme bénéfique pour la société québécoise. Mais les calculs de rentabilité réalisés à l’époque prouvaient exactement le contraire. Des économistes avaient calculé que, pour les 1 000 premiers mégawatts concédés à l’entreprise privée, Hydro-Québec, en payant 8,35 cents le kWh alors que le coût de production était environ deux fois moindre, se privait sur une période de vingt ans de revenus d’au moins 7,8 milliards $.

 

La moitié des bénéfices d’Hydro-Québec allant au gouvernement du Québec, ce dernier accusait un manque à gagner de 3,9 milliards $ en laissant l’éolien au secteur privé. Ce calcul était basé uniquement sur les 1 000 premiers mégawatts, alors qu’on avait déjà annoncé le développement prochain d’un total de 4 000 mégawatts. Il faudrait que ces calculs soient mis à jour.

 

Pire encore, la plus grande proportion de ces milliards allait quitter le Québec. En effet, 72 % du premier appel d’offres de 1 000 mégawatts avait été raflé par des entreprises non québécoises. La plupart d’entre elles ne possédaient aucune expertise en la matière. Trans-Canada Corporation se vantait même dans ses communiqués d’affaires que c’était son contrat avec Hydro-Québec qui allait lui permettre de développer cette expertise. La société d’État aurait pu utiliser, plaidait-on à l’époque, les appels d’offres pour exiger qu’un fabricant d’éoliennes s’installe au Québec et développe des éoliennes adaptées au climat québécois. Il aurait aussi été avantageux financièrement, environnementalement et socialement que les parcs éoliens soient installés dans le Nord près des lignes de transmission d’Hydro-Québec plutôt que dans la vallée du Saint-Laurent.

 

Mais nos politiciens aiment avantager leurs amis du secteur privé, qui préfèrent s’installer dans la vallée du Saint-Laurent, distribuer quelques millions aux municipalités et quelques milliers de dollars à des cultivateurs. C’est une des caractéristiques du néolibéralisme que de chercher à saper la légitimité des États nationaux en faisant la promotion de la concurrence des pouvoirs régionaux entre eux dans un contexte de privatisation.

 

Appel aux partis politiques et aux syndicats

 

Les citoyennes et les citoyens qui veulent s’opposer à ces projets doivent subir le courroux de ceux qui leur reprochent une attitude « pas dans ma cour ». De plus, on m’informe que plusieurs de ceux qui voudraient entreprendre une campagne de protestation craignent d’être confrontés à l’arsenal judiciaire répressif mis en place au cours des dernières années pour faire taire les opposants.

 

Dans ce contexte, il incombe aux partis politiques, plus spécifiquement au Parti Québécois et à Québec Solidaire, qui bénéficient d’une immunité parlementaire et publique de prendre la tête de cette contestation, conformément aux mandats adoptés par leurs membres dans leurs instances démocratiques, et aux organisations syndicales de prendre le leadership de cette lutte citoyenne contre l’implantation de ces parcs éoliens et pour la nationalisation de l’éolien.

 

Dans la perspective où le gouvernement Legault veut augmenter de 50% la production d’Hydro-Québec – dans le cadre de l’économie de guerre de l’administration Biden – les projets de parcs éoliens, de grands et petits barrages, de même que les projets miniers, avec leurs conséquences environnementales catastrophiques, vont se multiplier. Il est temps d’en prendre conscience et d’agir en conséquence.