L’auteur est membre des Artistes pour la paix
Présente tout au long des quatre-vingt-dix minutes intenses de l’œuvre, l’actrice Ariane Castellanos porte tragiquement, avec son destin à la Bertolt Brecht, la difficile humanité de celle qui, suite à un divorce douloureux, a accepté pour payer les traites de son appartement de travailler pour une entreprise agricole. Elle tente d’y maintenir une distance entre d’une part le contremaître québécois joué avec intensité remarquable par Marc-André Grondin soumis à des pressions économiques insoutenables d’un patron français, et d’autre part les travailleurs, à qui elle a pour tâche officielle de traduire les exigences excessives qui s’accumulent, jusqu’à l’endossement d’illégales intrusions dans leur vie privée avec des caméras de surveillance, point sur lequel se rompt sa docilité d’employée.
Ces travailleurs immigrés guatémaltèques n’ayant à cause de la barrière de la langue personne d’autre à qui confier leurs états d’âme (et de corps, vu les maladies qui les affectent causées par un travail éreintant et les heures supplémentaires ajoutées impitoyablement), Ariane (car c’est aussi le prénom du personnage) va, d’abord à son corps défendant, peu à peu s’inspirer de celle qui vainc le Minotaure du capitalisme, Pasiphaé «la lumineuse pour tous». Elle peut heureusement compter sur le soutien moral de sa mère logeant au bord du Richelieu, jouée par la si humaine comédienne Micheline Bernard.
Avec les nuances indispensables et grâce à des informations sensibles (les travailleurs doivent signer un onéreux contrat syndical, même si leur contrat d’emploi initial leur refuse tout recours syndical!), le jeune réalisateur Pier-Philippe Chevigny a su magistralement éviter les nombreux écueils de manichéisme inhérents à un tel sujet, afin qu’on s’attache à l’intrigue inexorable, sans recours à des émotions artificielles, comme le faisait hélas le si médiocre Oiseaux ivres de 2021 .
Qui est ce réalisateur? Le jeune cinéaste originaire de la région de Sorel-Tracy remarqué pour ses courts métrages Vétérane (présenté à Clermont-Ferrand et Namur) et Recrue (TIFF, Busan, Tirana) dont Richelieu est le premier long métrage, s'appuyant comme pour ses courts métrages sur un rigoureux processus de recherche documentaire, semble suivre le chemin exigeant de l’artiste antinucléaire René Char : «Il n'y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve ou on l'accomplit. L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant.»
Si bien servi par la direction photo signée Gabriel Brault Tardif, le scénario implacable ne relâche jamais la tension de l’essentiel, sans fuir vers quelque intrigue secondaire (même en abordant la bureaucratie hospitalière qui aurait été un terrain fertile!), jusqu’à la fin offrant à notre grand soulagement une éclipse d’ouverture lumineuse à laquelle participe l’acteur Nelson Coronado soumis à tant d’épreuves.
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