Mots malades

2023/10/25 | Par Michel Rioux

Nous vivons dans une curieuse époque où ce ne sont pas seulement les grabataires qui sont malades. De plus en plus en effet, ce sont les mots qui sont frappés de maux qui courent le risque de devenir incurables. S’il est vrai que la vérité est la première victime des guerres, les mots, en ces temps incertains, sont déformés, dénaturés, détournés de leur sens véritable pour, la plupart du temps, se mettre au service d’une idéologie ou servir de paravent à des actions qui n’osent pas dire leur nom.

Les récentes péripéties entourant les mesures annoncées par le gouvernement québécois qui visent à soutenir les universités francophones au Québec en sont une illustration parfaite.

«Kill McGill», a-t-on écrit, sans broncher ni même rougir dans The Gazette. Dans un commentaire à ce texte, un lecteur a même écrit que «la CAQ dit, au fond, que le Québec n’est pas capable d’attirer des francophones de valeur et ne pourra survivre qu’en suçant le sang des Anglos… »

Un génocide culturel serait mis en œuvre et seuls les lecteurs de The Gazette en auraient été informés?

Dans le style inimitable qui est le sien, Jean-François Lisée, dans Le Devoir, a justement identifié à quel point c’est encore le mépris qui nourrit pareils raisonnements. «Doit-on comprendre que la CAQ a été à ce point mesquine qu’elle a retiré à McGill le cadeau d’un demi-milliard $ consenti l’an dernier, en lui offrant l’ancien hôpital Royal Victoria pour son agrandissement? A-t-elle décidé d’y installer plutôt du logement social et abordable? Non, ce n’est pas le sujet. Aurait-elle alors annulé le financement de 475 millions $ qui vient avec ce don, frôlant au total le milliard de dollars? Il n’en est pas question», a-t-il écrit.

Il y a bien sûr des ajustements nécessaires à ce projet. Mais pour l’essentiel, même avec un puissant microscope, il est difficile d’y trouver quelque relent de racisme.

Mais comme c’est d’ordinaire le cas quand il est question de déterminer qui va marcher à genoux dans la gravelle ou se tenir debout, les acteurs du débat public se divisent en deux camps. D’un côté, on trouve les Pierre Fortin, Yves Gingras, Maxime Pednaud-Jobin, Philippe Léger. De l’autre, les Michel C. Auger, Michel Leblanc, Graham Fraser et, bien sûr, la mairesse de Montréal…
 

Terrorisme?

Il y a une vingtaine d’années, alors que les hordes du premier ministre israélien Ariel Sharon avaient massacré hommes, femmes et enfants palestiniens, je n’avais pas hésité à qualifier ces actes barbares de terrorisme d’État.

Mais aujourd’hui il faudrait, selon quelques beaux esprits mal à l’aise quand il s’agit de nommer les choses, se retenir de qualifier de terrorisme l’attaque des sbires du Hamas le 7 octobre, qui a fait des centaines de victimes, hommes, femmes et enfants israéliens. La réalité des choses ne change pas si les horreurs sont le fait de l’un ou l’autre camp. Et Edgar Morin a raison quand il écrit que le terrorisme, «ce sont des actes de violence frappant indistinctement des populations civiles». À ce chapitre, les bombes atomiques sur le Japon, les bombardements des populations civiles, tant en Allemagne qu’en France, en Angleterre, en Union soviétique et à peu près partout en Europe durant la dernière guerre, ont été des actes de terrorisme. Voilà!
 

Langue impersonnelle

Les guides de l’écriture inclusive apparaissent un peu partout avec comme vaisseau amiral le gouvernement fédéral et son guide L’inclusionnaire, comme le soulignait récemment Patrick Moreau dans Le Devoir. C’est ainsi qu’on conseille fortement d’éviter les adjectifs et les participes passés, qui s’accordent, et de privilégier des formulations prétendument plus neutres. Dans la foulée, le mot personne, s’il n’en tenait qu’à ces avocats, deviendrait le substantif le plus utilisé dans la langue française. Cette pensée a connu une profondeur abyssale en commission parlementaire, à Québec, quand un député libéral a présenté un amendement pour changer l’expression «femme enceinte» par «personne enceinte»…

Il faut être conscient que cette recherche de tournures impersonnelles favorise une construction linguistique calquée sur l’anglais. Moreau soutient qu’il «s’agit de nier une des spécificités de la langue française afin d’en aligner l’usage sur celui de l’anglais», ajoutant que cela génère une dépersonnalisation de la langue en s’attaquant de la sorte à un élément constitutif du français.
 

Babelistan

Si l’image n’était pas aussi incongrue, on pourrait affirmer que nous assistons présentement à une vaste opération qui consiste à émasculer la langue française, dans le sens où on la «dépouille de sa force originelle… »

Tant qu’il est vrai qu’à partir du moment où une échelle s’appelle une chaise et une maison, une rue, les mots deviennent des maux et nous entrons allègrement en Babelistan…