Agriculture : rien ne va plus !

2024/04/17 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Les agricultrices et les agriculteurs du Québec ont depuis quelques semaines quitté leur ferme pour prendre la rue avec leurs machineries et faire entendre leur cri du cœur. Rien de va plus pour eux. Ceux qui font pousser nos fruits, nos légumes et nos céréales, ceux qui produise notre viande, nos volailles et nos œufs – en deux mots les personnes qui nous nourrissent – ont l’habitude des aléas de dame nature et de vivre avec de bonnes et de mauvaises années.  Mais avec beaucoup de travail, ils finissaient toujours par être capables d’en vivre.à

Malheureusement, tout cela est en train de changer. Depuis déjà quelques années, il semble qu’ils en arrivent à un point de rupture. Nos agricultrices et nos agriculteurs le crient haut et fort : ils ont un urgent besoin d’aide!

De nombreuses causes

Plusieurs facteurs ont mené à cette crise, ils pointent du doigt les changements climatiques qui affecteraient l’équilibre de la météo : quand il pleut, il pleut en abondance, et quand il y a une sécheresse, elle perdure. Dans les deux cas, jusqu’à détruire les récoltes.

Il existe bien au Québec un système d’assurances pour les récoltes. La Financière agricole du Québec les compense financièrement lorsque survient une mauvaise année. Mais ce système n’a pas été conçu pour des réclamations à répétition et, selon les agricultrices et les agriculteurs, il ne répond pas aux nouveaux défis qu’engendrent les changements climatiques.

Le coût des intrants – l’achat de la machinerie, des semences et des engrais – a augmenté de façon fulgurante. La hausse des taux d’intérêt a aggravé le taux d’endettement. Le respect des règles environnementales serait difficile à respecter parce qu'elles n’ont pas été conçues pour le secteur de l’agriculture, mais plutôt pour le secteur industriel.

Lors d’une des nombreuses manifestations du milieu agricole, une agricultrice a déclaré pour imager la lourdeur administrative à laquelle elle fait face : « Je passe trop de temps à remplir de la paperasse au lieu de travailler sur ma terre. » Un autre dit être obligé de détenir un deuxième emploi pour être capable de vivre.

Un représentant de l’UPA, avec beaucoup de retenue et visiblement avec la crainte de se mettre à dos l’opinion publique, nous a mis devant une de nos contradictions lorsque vient le temps de faire notre épicerie. Il a déclaré à une journaliste que « les Québécois ont le cœur à gauche lorsqu'il est question d’environnement, mais la poche à droite quand vient le temps de faire leurs achats. Ils choisissent la plupart du temps les denrées les moins chères peu importe d’où elles proviennent ».

On a également pointé du doigt les accords de libre-échange parce qu'ils les mettent en concurrence avec des agriculteurs qui n’ont peu ou pas de règles à respecter et des charges sociales moins lourdes. On pourrait également inclure l’augmentation du coût d’achat des terres agricoles. Tout cela cause une détresse psychologique chez de nombreux agriculteurs et d’agricultrices.

De beaux discours vides de sens

Devant ces manifestations, le premier ministre Legault a, le 28 mars dernier, qualifié de « crise » les difficultés que traverse le monde agricole et a déclaré que son gouvernement compte aider davantage les agricultrices et agriculteurs, notamment en assouplissant certaines règles et en fournissant de l’aide financière de transition.

La vice-première ministre Geneviève Guilbault a, quant à elle, déclaré en s’adressant à des manifestants à Saint-Jean-sur-Richelieu : « La mobilisation qui s’organise ici, aujourd'hui, et qui s’est faite dans les autres semaines, on la salue. On comprend tout à fait qu’on a besoin d’avoir ce que j’appellerais une conversation nationale sur ce domaine-là, qui, oui est un secteur économique, mais qui est secteur littéralement identitaire pour nous au Québec. L’autonomie alimentaire, le secteur agricole, ça nous renvoie à notre terroir, donc c’est important pour nous d’être ici, de venir vous écouter. »

Ce que vit actuellement le milieu agricole est très complexe. Comme on le constate, beaucoup de facteurs ont un impact sur le quotidien des agriculteurs et agricultrices. Que le premier ministre annonce de l’aide financière de transition a du sens. Dans l’immédiat, il faut empêcher que des certains abandonnent parce que trop endettés et découragés.

Pour le reste, il va falloir beaucoup plus que de beaux discours vides de sens comme celui de la vice-première ministre. Je comprends que ce n'est pas avec un discours qu’on règle les problèmes. Mais réduire la crise du milieu agricole à « on devrait avoir une discussion nationale », avec un discours à saveur nationaliste et identitaire, démontre une absence de préparation ou que Mme Guilbault n’a aucune idée des tenants et aboutissants du dossier. Dans les deux cas, c’est pas fort.

Faut-il rappeler que ce n’est pas d’hier que le milieu agricole sonne l’alarme? Depuis décembre 2023, les agriculteurs et agricultrices intensifient les sorties publiques avec des rassemblements, entre autres, devant l’Assemblée nationale, dans le Bas-Saint-Laurent, dans Charlevoix, à Alma et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Je vais suivre avec intérêt ce que notre « bon gouvernement » va faire face à cette crise. Cependant, j’avoue que je suis un peu inquiet. La crise du milieu agricole est un dossier très complexe qui mérite une profonde réflexion, un plan clair et une vision d’avenir élaborés avec tous les intervenants du milieu, exactement ce que la CAQ est incapable de faire.

Des questions de base

Je ne m’aventurai pas à dicter des solutions à la crise agricole, mais il me semble qu’il y a des questions de base auxquelles notre gouvernement devrait tenter de répondre.

Voulons-nous réellement une autonomie alimentaire au Québec dans la limite de ce que nous pouvons produire sur notre territoire? Si oui, comment allons-nous faire pour que les Québécoises et les Québécois aient non seulement le cœur à gauche sur les questions environnementales, mais également la poche à gauche quand vient le temps d’effectuer leurs achats?

De quelle façon pouvons-nous nous assurer que les agriculteurs et les agricultrices puissent vivre décemment de leur travail, tout en s’assurant que la profitabilité de leur entreprise ne soit pas atteinte au détriment des règles environnementales ni être basée sur l’emploi de « cheap labor »?

Étant donné que, pour l’instant, nous ne pouvons pas changer les accords de libre-échange et la concurrence déloyale qu’ils entraînent, ne serait-il pas souhaitable de mettre un frein à la mondialisation de notre agriculture et de se tourner plutôt vers une agriculture locale ayant pour objectif de nourrir le peuple québécois?

Devrions-nous également faire une pause sur le développement éolien privé, qui profite, de manière indécente, de la vulnérabilité des agriculteurs et des agricultrices, qui peinent à joindre les deux bouts, pour faire miroiter des revenus pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de dollars par année par l’installation d’éoliennes sur leurs terres?

Devrions-nous mettre en place une agence de veille des effets actuels et futurs des changements climatiques sur l’agriculture au Québec afin qu’on puisse le mieux possible s’y adapter, plutôt que de les subir année après année?

Il y a sûrement d’autres questions très pertinentes qu'on devrait poser. La crise du milieu agricole est complexe et sera difficile à régler, mais il m’apparait clair que ce n’est pas avec une aide financière de transition ou pire encore, avec des discours vides de sens que nous allons y arriver. Encore une fois, Monsieur Legault, vous avez devant vous un autre dossier qui, si vous prenez les bonnes décisions pourrait non seulement changer la vie des acteurs du milieu agricole québécois, mais également de tout le Québec.