L’auteur est syndicaliste
Depuis quelques semaines, on entend de plus en plus de commentateurs politiques déclarer que le gouvernement Legault a perdu son flair politique, qu’il n’aurait plus la touche magique pour « lire » le peuple québécois.
Cette perte de sensibilité aurait débuté avec l’annonce de l’abandon du troisième lien, une promesse électorale pour séduire la population de Québec et de la Rive-Sud de Québec, lors des élections de 2018 et 2022. Cette volte-face nous a permis de voir le ministre Bernard Drainville en larmes devant la caméra – spectacle auquel personne n’a cru – et le ministre Éric Caire renier sa promesse de remettre sa démission si son gouvernement n’allait pas de l’avant avec le projet de troisième lien.
Alors que tout le monde croyait cette saga terminée, M. Legault opère un autre virage à 180 degrés en ressuscitant le projet, à la suite de la cuisante défaite de son parti, lors de l’élection partielle dans Jean-Talon. Toute une surprise d’entendre au lendemain de la défaite, M. Legault déclarer qu’il a compris le message des gens de Québec et annoncer que son gouvernement est prêt à écouter les propositions de la population concernant un éventuel troisième lien.
Un tour d’horizon dévastateur
Les commentateurs qui évoquent la perte du flair politique de la CAQ font également mention des échecs dans la distribution des soins de santé. Bien que la CAQ soit au pouvoir depuis cinq ans, rien n’a vraiment changé. En fait, sous certains aspects, les services publics de santé se sont détériorés comme dans le cas des délais pour certaines chirurgies.
Dans le domaine de la santé, le dépôt d’un projet de loi mammouth n’aura pour effet, aux yeux de plusieurs observateurs, que de revoir la structure du système, notamment en centralisant davantage les pouvoirs, rendant encore plus difficile la prise de bonnes décisions.
Mentionnons également, comme solution miracle, le recours au privé pour certaines chirurgies et pour pallier le manque de personnel. À cela s’ajoute l’annonce en campagne électorale de la construction de « petits » hôpitaux privés.
Avez-vous remarqué que la plupart des solutions présentées sont basées sur le recours au privé ? Il est vrai que la CAQ a fait adopter une loi pour interdire l’utilisation d’agences privées pour pallier le manque chronique de personnel en santé. Sauf que cette loi permet d’y recourir lorsque nécessaire et personne ne voie le jour où ce ne sera plus nécessaire.
En éducation, ce n’est guère mieux. Le sauveur promis, le ministre Drainville, cumule les gaffes depuis sa nomination. La dernière en liste est sa merveilleuse idée de demander aux personnels enseignants de remettre des travaux à leurs élèves avant de partir en grève. Avec cette idée géniale, on demande aux parents, qui en ont déjà plein les bras, d’assumer une partie du travail des enseignantes et enseignants. Bravo!
Et que dire de notre chère ministre Marie-France Duranceau, qui s’est mérité le qualificatif de « méprisante envers les locataires », lors du dépôt de son projet de loi 31 visant à modifier certaines dispositions en matière de logement, notamment en mettant fin à la possibilité pour un locataire de faire cession de son bail à un autre locataire.
Mme la ministre a dû mettre fin au débat sur son projet de loi pour modifier 24 de ses 38 articles. Toute une leçon d’humilité pour une ministre qui faisait la leçon à toutes les personnes qui critiquaient son projet de loi.
Est-il nécessaire d’ajouter les négociations du secteur public où on voit la présidente du Conseil du Trésor s’époumoner sur la place publique et sur les réseaux sociaux pour tenter de gagner l’opinion publique à sa cause plutôt que de négocier de bonne foi avec les syndicats ?
Et, on peut allonger la liste. Il y a eu l’invitation du maire de Québec à un diner de cons où on lui a sèchement enlevé le projet de tramway pour l’envoyer à la Caisse de dépôt et placement pour fins d’études, alors que tout le monde sait que ce projet a fait l’objet de nombreuses études depuis plus de 15 ans.
Il y a également les banques alimentaires qui, au moment de la mise à jour économique du gouvernement québécois, n’ont reçu que dix millions sur les dix-huit millions demandés, afin de répondre à la demande croissante des familles québécoises. Elles ont eu la surprise de constater que le ministre des Finances n’a pas cru bon d’acquiescer à leur demande de financement, mais est prêt à mettre sur la table jusqu’à sept millions de dollars pour la tenue de deux matchs hors concours de la LNH à Québec.
Quand la chance vient à faire défaut
En fouillant un peu, je pourrais sûrement allonger cette malheureuse liste de décisions douteuses. Je ne suis pas vraiment d'accord avec l’idée que M. Legault et sa garde rapprochée auraient perdu leur grand sens politique. Je crois qu’ils n'en ont jamais eu. Ils ont plutôt eu de la chance.
La chance de profiter du fait que le peuple québécois en avait assez des années de gouvernance des Libéraux et surtout de leurs mesures d’austérité. La chance d’hériter d’un surplus budgétaire de plusieurs milliards de dollars, conséquence de ces mesures d’austérité. La chance d’arriver en poste avec une situation économique très enviable pour n’importe quel gouvernement avec, entre autres, un taux de chômage qui frôle le plein emploi et des taux d’intérêt historiquement bas.
La chance de faire élire une députation permettant de former un gouvernement majoritaire, qui a les coudées franches pour réaliser ses promesses. Mais qu'ont-ils fait de toute cette chance? Pas grand-chose. Vous me direz qu’il y a eu la pandémie et vous avez raison. Cette pandémie, on le sait maintenant, a été gérée en grande partie par la firme Mckinsey. Et tous les projets du gouvernement ont été mis sur pause.
En 2022, la CAQ a été réélue avec une majorité accrue à la seule différence que les milliards de surplus ont fondu, que les taux d’intérêt ont bondi de façon fulgurante et que la population a grand besoin de l’intervention de l’État. Malheureusement, le gouvernement Legault ne répond pas aux appels incessants de la population. Ce gouvernement ne sait pas quoi faire ni comment le faire, à part de répondre à ceux qui leur disent qu’ils font fausse route : « C’est ma décision, je l’assume, c’est ma responsabilité, c’est ma faute ». Gouverner en ces temps plus difficiles, ça ne peut se résumer à rechercher la sympathie des électeurs en faisant de fausses amendes honorables.
Gouverner c’est d’avoir le souci du bien-être de la population, de proposer une vision pour l’avenir, de supporter les citoyens, d’avoir l’esprit assez ouvert pour écouter les représentants de la société civile et travailler avec eux sur la recherche de solutions possibles.
Du même auteur
2024/11/06 | Les syndicats et l’action politique |
2024/10/11 | Le retour de l’austérité |
2024/09/06 | Le gouvernement se moque de la loi contre la pauvreté |
2024/06/12 | Les 10 perturbations les plus probables |
2024/04/17 | Agriculture : rien ne va plus ! |