Les banques alimentaires crient famine

2023/11/03 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, les banques alimentaires du Québec crient famine ! Le cri d’alarme vient une nouvelle fois de Martin Munger, directeur général des banques alimentaires. Il réclame 18 millions de dollars pour l’achat des denrées alimentaires, dont les banques alimentaires ont besoin pour passer le temps des fêtes et se rendre jusqu’en mars 2024.

En 2023, les banques alimentaires ont aidé 872 000 personnes par mois, une hausse de 30% comparativement à 2022 et de 73% comparativement à 2019 M. Munger a qualifié la situation de « Jamais vue » et de « Dramatique ».

Le nouveau visage de la pauvreté

Le visage de la pauvreté a changé. Aujourd’hui, 18% des ménages aidés ont un emploi comme principale source de revenus, en hausse de 102% par rapport à 2019. En 2023, près de 700 000 paniers alimentaires ont été distribués chaque mois. 78% des ménages aidés sont locataires. 45% sont des familles avec enfants et 37% sont des adultes vivant seuls. Auparavant, les adultes vivant seuls constituaient la majorité des personnes bénéficiaires des paniers alimentaires.

Les bas salaires et l’inflation sont identifiés comme étant les causes de cette augmentation fulgurante et constante. Chantal Rouleau, la ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, a déclaré en entrevue être « très, très à l’écoute » des besoins des banques alimentaires et travailler sur un projet pour contrer la pauvreté au Québec afin d’éliminer l’état d’urgence auquel font face les banques alimentaires.

Je suis impatient de voir ce plan anti-pauvreté. Il est souhaitable qu’il ne soit pas calqué sur le bouclier anti-inflation annoncé par notre bon premier ministre, lors des dernières élections. Bouclier qui, on le constate, n’a pas du tout atteint sa cible.

En fait, il a servi essentiellement à appauvrir l’État québécois de plusieurs milliards de dollars, soit environ 14 milliards si on calcule les baisses d’impôt consenties qui ne profitent pas du tout aux personnes les plus pauvres.

Est-il besoin de rappeler qu’au Québec plus de 33% des contribuables ne paient pas d’impôt parce qu'ils sont trop pauvres ? Pour ces personnes, une baisse d’impôt ne rapporte rien.

Le reste se résume pour l’essentiel à des mesures ponctuelles comme les chèques remis à presque toute la population, sans tenir compte des besoins, et à des mesures temporaires, comment la limite des frais gouvernementaux à 3% pour un certain temps.

J’espère que la ministre « très très à l’écoute » des besoins des banques alimentaires le soit tout autant sur les causes identifiées par les dirigeants et dirigeantes des banques alimentaires, soit les bas salaires et l’inflation. À mon avis, ces deux facteurs devraient être les cibles d’un plan anti-pauvreté.

En deçà du revenu nécessaire

Concernant les bas salaires, la CAQ s’entête à vouloir maintenir un ratio de 50% entre le taux du salaire minimum et le salaire horaire moyen. Le salaire minimum a donc été fixé à 15,25$ pour 2023 pour un revenu annuel de 30 500$ pour personne qui travaille à temps plein.

Selon une étude de l’IRIS, le revenu viable disponible en 2023 pour une personne seule devrait s’établir à 32 252$ à Montréal et à 31 104$ à Québec.  Pour un ménage monoparental avec un enfant, l’objectif est fixé à 44 187 et à 43 029. Pour un ménage de deux adultes et de deux enfants, il devrait être de 71 161 et de 69 781.

À la lumière de ces données, on peut conclure que l’entêtement du gouvernement de la CAQ contribue à maintenir plusieurs familles dans la pauvreté. Il est plus que temps que le Québec se dote d’une politique de revenu disponible viable plutôt que d’un salaire minimum qui appauvrit.

Le gouvernement de la CAQ justifie le maintien de ce calcul du taux de salaire minimum par le souci de ne pas imposer un fardeau trop lourd sur les entreprises et risquer de mettre leur viabilité en péril. Il faudrait peut-être se demander s’il est acceptable dans une société riche comme la nôtre d’avoir des entreprises dont la viabilité repose sur des salaires tellement bas qu’ils ont pour conséquence de maintenir des travailleuses et dans travailleurs dans la pauvreté. Veut-on vraiment ce type d’entreprises au Québec ?

Si, à tout hasard, il y avait parmi celles-ci des entreprises essentielles à notre société, qui ne pourraient offrir un revenu viable à leurs travailleuses et leurs travailleurs, un soutien du gouvernement pour améliorer leur productivité serait de mise.

Le premier ministre Legault a montré une ouverture dans ce sens. Lors de l’annonce de l’implantation de Northvolt en Montérégie, à un journaliste qui lui demandait s’il était inquiet que Northvolt vole aux entreprises de la région leur main-d’œuvre en offrant des salaires qu’elles ne pourront concurrencer, il a répondu que non, invitant ces entreprises à se moderniser pour devenir plus concurrentielle. Il a souligné qu’il y avait des programmes gouvernementaux à cette fin. M. Legault semble donc avoir déjà une piste de solution pour les bas salaires.

Une solution pour le logement

Les dirigeantes et dirigeants des banques alimentaires pointent également du doigt l’inflation comme cause d’appauvrissement. Dans ce domaine, les moyens d’action des gouvernements sont toutefois limités. Mais ils peuvent poser certains gestes qui réduisent le fardeau financier supporté par la population.

Prenons l’exemple du logement. Avec la hausse des   loyers et des taux d’intérêt, les rénovictions, la location court terme Airbnb et le manque alarmant de logement sociaux et abordables, de plus en plus de familles peinent à se loger et à boucler les fins de mois. Elles doivent souvent choisir entre se nourrir ou se loger.

Il m’apparait très clairement qu’un véritable plan pour contrer la pauvreté doit contenir une politique de logements accessibles pour tous. Notre gouvernement doit prendre l’initiative d’aider les municipalités en contribuant au financement de logements sociaux et abordables, mais également en innovant dans ses façons de faire.

Ainsi, la ville de Montréal innove avec son règlement 20-20-20, soit 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux pour les nouveaux projets immobiliers de cinq unités et plus.

Malheureusement, dans 145 des 150 projets qui ont fait l’objet d’une entente dans le cadre du Règlement pour métropole mixte (RMM) – également nommé programme 20-20-20 – aucun logement social n’a été construit! Les promoteurs préfèrent payer la pénalité encourue plutôt que d’inclure 20% de logements sociaux à leur projet immobilier.

La cause identifiée est la hausse des coûts de construction. Il ne serait pas possible de construire et rentabiliser un logement social avec les subventions actuellement accordées par les gouvernements. Devant ce fait, est-ce qu’il ne serait pas souhaitable de faire porter le coût de construction d’un logement social à l’ensemble de la chaîne des fournisseurs?

Que chacun apporte sa contribution, à partir de l’entreprise forestière qui fournit le bois, les entreprises de béton, la plomberie, le matériel électrique, les isolants, etc., plutôt que de tout faire porter sur le dos des promoteurs immobiliers? Pour toucher des subventions gouvernementales, toute la chaîne devrait participer.

La contrepartie de ce pacte social serait que les promoteurs n’aient aucune échappatoire. Ils auraient l’obligation d’inclure des logements sociaux, abordables et familiaux dans tous les projets d’un certain nombre d’unités, nombre devant être établi par les municipalités, et ce jusqu’à ce que l’objectif soit atteint.

Je ne prétends pas que ce je propose soit « la » solution, mais je dis qu’il nous faut un gouvernement qui ouvre son horizon à des solutions pérennes ayant pour objectif le bien-être de la population et non se borner à des solutions ponctuelles sans effet permanent, sans réelle consultation des acteurs du milieu, comme la CAQ nous y a malheureusement habitués.

 


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