Les auteurs sont membres du Parti Québécois et porte-parole du club politique SPQ Libre
Le 19 juin dernier, la direction du Parti Québécois déposait, sous le titre « Agir en toute liberté », la Proposition principale qui servira de base de discussion en vue de l’adoption du programme du parti au congrès d’avril 2011.
Dans les cinquante pages du document, on retrouve plusieurs propositions fort intéressantes, dont la plus audacieuse est sans aucun doute « d’étendre aux cégeps les dispositions de l’actuelle Charte de la langue française ».
Le document est de façon générale à teneur progressiste mais non social-démocrate, étant donné toute absence de référence au mouvement syndical. Le document souligne avec raison que « le Québec se distingue au Canada et en Amérique du Nord en étant la société où la richesse est la mieux partagée », mais il omet de mentionner la cause première de cette meilleure répartition, soit notre fort taux de syndicalisation (40% de la main d’œuvre). En fait, le mot « travailleur » n’apparaît qu’une seule fois et ce, dans le chapitre sur la forêt et les mines, dans une proposition visant à « encourager la participation financière des travailleurs à la relance des entreprises forestières » (sic!).
L’autre limite fondamentale du document est qu’un grand nombre des propositions sont irréalisables dans le cadre du Québec en tant que province du Canada, faute de ressources financières suffisantes ou par suite des limitations imposées par les juridictions fédérales, la Constitution canadienne et sa Charte des droits.
Ces obstacles financiers ou constitutionnels illustrent le cul-de-sac de toute stratégie de « bon gouvernement », comme l’a révélé l’expérience des gouvernements précédents du Parti Québécois, et renvoient à la raison d’être de ce parti : l’accession du Québec à l’indépendance.
À ce chapitre, le document est particulièrement faible. Dans les deux seules pages qui lui sont consacrées, après avoir réaffirmé l’objectif premier du parti (« réaliser la souveraineté »), on énumère les moyens qu’un gouvernement du Parti Québécois se promet d’utiliser pour obtenir plus de pouvoirs dans le cadre du fédéralisme canadien. On propose également l’adoption d’instruments juridiques (Constitution, Charte de la laïcité, citoyenneté québécoise) possibles en demeurant au sein du Canada.
On n’y retrouve aucune analyse de la conjoncture politique, aucune idée-force autour de laquelle mobiliser la population, aucune stratégie politique.
Une nouvelle conjoncture politique, économique et démographique
Pourtant, le contexte politique a changé considérablement depuis le dernier référendum. Après la « grande frousse » de 1995, les forces fédéralistes ont déployé un extraordinaire plan d’attaques pour neutraliser les forces souverainistes, tout en cherchant à priver le Québec de points d’appui essentiels à son émancipation : Loi sur la Clarté, programme des commandites, intrusion dans les champs de compétence du Québec, main basse sur la Caisse de dépôt, neutralisation de la France comme appui diplomatique, pour ne mentionner que les principaux.
Tout cela s’est déroulé sur fond de campagne de Quebec-bashing au Canada anglais dont le récent sondage mené pour le compte des IPSO et du Bloc Québécois a montré les effets dévastateurs. À toutes les demandes potentielles du Québec, la réponse du Canada anglais est un Non retentissant. Le chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, en a tiré la conclusion qui s’impose : « Il n’y a plus de troisième voie. Une réforme constitutionnelle est une illusion ».
À ce contexte politique, s’ajoutent des changements économiques, politiques et démographiques structurels. La classe dirigeante canadienne-anglaise est en train de revoir son positionnement stratégique mondial, comme le révélait un récent rapport du Conseil international du Canada (1). Prenant la mesure du déclin de la profitabilité de son alliance économique avec les États-Unis par suite de la récession chez nos voisins du sud et du fardeau des tracasseries administratives aux frontières – le volume des échanges hors énergie est revenu à celui d’avant l’adoption du libre-échange – les dirigeants canadiens lorgnent maintenant vers l’Asie pour de nouvelles alliances stratégiques. Dans cette perspective, l’exportation du pétrole des sables bitumineux vers l’Asie tiendra la place qu’occupait jusqu’à tout récemment l’industrie automobile de l’Ontario dans l’économie canadienne.
Avec ce déplacement du centre de gravité économique vers l’ouest du pays, le Québec – et les provinces maritimes – deviennent des valeurs négligeables. En fait, avec l’ouverture prochaine de la route du Nord-ouest, l’Arctique remplacera l’Atlantique dans leur version de la devise « a mare usque ad mare ».
À cette marginalisation économique du Québec, s’ajoute son affaiblissement politique par suite du recul de son poids démographique dans l’espace canadien. Le gouvernement Harper a déposé un projet de loi pour modifier la carte électorale fédérale et l’ajout de circonscriptions en Ontario, en Alberta et en Colombie-britannique, ce qui rendra possible l’élection d’un gouvernement majoritaire sans représentation significative au Québec.
Mobiliser et faire la pédagogie de la souveraineté autour d’idées-forces
De cette nouvelle conjoncture, les indépendantistes devraient pouvoir tirer de nouveaux arguments pour leur projet national, mais également quelques idées-forces autour desquelles mobiliser la population. Illustrons-le avec un exemple tiré de discours récents de Mme Pauline Marois.
De tout temps, les impôts des Québécois ont servi au développement économique du Canada anglais. Hier, c’était des subventions de 10 milliards $ à l’industrie automobile en Ontario, en contrepartie des 100 millions pour l’industrie forestière au Québec. Demain, ce sera le financement de technologies pour rendre « propres » les sables bitumineux.
Historiquement, les gouvernements ont pu s’en tirer en justifiant le tout par la présence en leur sein de députés du Québec, les bien-nommés Québécois de service. L’arrivée du Bloc a modifié l’ordre des choses et il a pu arracher certaines concessions dans le jeu des alliances pour permettre la survie de gouvernements minoritaires. Mais, avec la nouvelle carte électorale, le Canada anglais pourra ignorer totalement le Québec.
Le principe fondamental « No Taxation without Representation » sera bafoué. Ottawa continuera à percevoir la moitié des impôts versés par les Québécois sans que ceux-ci soient représentés de façon significative au gouvernement fédéral ou puissent exercer une quelconque influence par le biais du Bloc. Dans ces circonstances, la revendication d’un seul rapport d’impôt – et donc de la perception de tous les impôts – par le Québec pourrait être une idée-force, autour de laquelle il serait possible de faire la pédagogie de la souveraineté.
Dans son discours au Conseil national du printemps dernier, Mme Marois avait inclus cette revendication dans la liste de pouvoirs qu’elle entendait exiger pour le Québec. « Et qu’on soit en période de crise ou en période de prospérité, deux gouvernements et deux rapports d’impôts, c’est trop! », avait-elle déclaré.
Une telle revendication, avec deux ou trois autres idées-forces, inscrites dans le programme du Parti Québécois pour la prochaine campagne électorale avec la menace, advenant une réponse négative, d’un référendum sur l’indépendance, voilà ce qu’aurait pu contenir la Proposition principale, comme plusieurs indices nous le donnaient à croire.
Ce n’est pas le cas. La revendication d’un rapport d’impôt unique y apparaît bel et bien, mais pas dans la section sur la souveraineté. On la retrouve plutôt dans la section « Créer de la richesse », appuyée, non pas sur des arguments à saveur souverainiste, mais sur le fait qu’une telle mesure ferait « économiser des centaines de millions de dollars par année aux entreprises et aux citoyens du Québec »!!! À ce compte-là, on pourrait tout aussi bien confier la perception de nos impôts à Ottawa!
Nous donnons cet exemple à titre d’illustration de ce qu’aurait pu être l’amorce d’un programme mobilisateur et pédagogique sur la souveraineté. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des prochains mois.