À Dolbeau-Mistassini, il n’y a pas que l’hiver qui paralyse la ville. Les travailleurs de l’usine de pâtes et papiers sont en grève. « Toute la ville retient son souffle. » La menace d’un lock-out plane, la fermeture de l’usine est dans l’air. Les hommes sont en attente du sort qu’on leur réserve. La peur du chômage forcé les hante. Les femmes sont inquiètes, les enfants nerveux. Le film s’ouvre sur le 240e jour de l’arrêt de travail.
Dans un paysage de sapins et d’épinettes, un accident de la route vient de se produire. Une voiture a percuté un orignal. La conductrice et son passager ont perdu la vie, l’animal git sur le pavé, la voiture, amochée, est remorquée. Ces deux événements, en apparence isolés, forment la toile de fond du premier long métrage de Sébastien Pilote, le réalisateur et scénariste du film « Le vendeur ».
Marcel Lévesque est vendeur d’automobiles. Un « winner » dans son métier, qualité attestée par une série de plaques gravées à son nom qu’il arbore fièrement dans son bureau. Vendeur-né, il a commencé enfant alors qu’il vendait des cordes de guitare à 5¢. Après tout, la vente, ça ne s’apprend pas. Une bonne intuition, une relation de confiance solide entre les deux intéressés et des stratégies inventées par celui qui la pratique suffisent. Une seule devise : rendre le client heureux.
L’homme vit seul depuis la mort de sa femme. Rien ne l’empêche de rentrer tard. Personne ne l’attend. Sa vie, partagée entre le garage et une relation familiale solide et apaisante qu’il entretient avec sa fille Maryse et Antoine, son petit-fils, est un baume, une sorte de remède contre l’immense solitude qui meuble ses soirées et ses fins de semaine.
Le grand-papa dévoué garde le petit durant les congés scolaires pour rendre service à sa fille et il fréquente assidûment l’aréna où Antoine joue au hockey. Sans compter, qu’à l’occasion, il tente de lui transmettre sa passion pour la vente et, au passage, lui parle de ses convictions religieuses.
La petite ville comme l’usine se meurent. Les affaires périclitent. Les commerces ferment, l’essence ne se trouve qu’au dépanneur. Au garage, on attend le client éventuel. « Bonjour, mon ami », dit-il à François Paradis. On comprend vite que cet accueil enthousiaste renferme un piège pour le gréviste privé de son revenu. Il n’y échappera pas sans avoir, au mieux, acheté une voiture neuve, au pire, fait un essai routier. Parce que Marcel ne remonte sa ligne que lorsque le poisson est accroché ferme à l’hameçon. Pourtant, cette fois-ci, il le regrettera. Sans toutefois être anéanti par la tragédie qu’il a tenté d’éviter. « Chuis vendeur d’autos, c’est toute! », conclura stoïquement Marcel Lévesque, avant de retourner à son quotidien.
La chronique sociale, écrite et réalisée par Sébastien Pilote, s’articule autour des quinze derniers jours de grève de l’usine, juste avant sa fermeture. La vie et le drame d’un vendeur d’automobiles se jouent au rythme des chutes de neige, de la souffleuse et du bruit du grattage des pare-brise.
Le cinéaste de 38 ans a créé en Marcel Lévesque, un Québécois typique, une sorte de personnage universel dans lequel les gens se sont reconnus, peu importe où le film a été présenté. Gilbert Sicotte livre une prestation époustouflante de réalisme dans le rôle de cet homme ordinaire, employé discret, généreux avec ses collègues, pratiquant son métier avec passion, bon père de famille et grand-papa attentionné.
Soulignons également le jeu impeccable de Nathalie Cavezzali (Maryse, coiffeuse et mère d’Antoine), de Jean-François Boudreau (François Paradis, gréviste) et de Jérémy Tessier (Antoine) qui ont su donner à leur personnage le naturel et la simplicité qui convenaient à la situation.
Après une tournée impressionnante de nombreux festivals à travers le monde, le film a fait un doublé à Mumbai en Inde alors, qu’en octobre dernier, il se méritait le Silver Gateway, grand prix du jury de la compétition internationale et le prix de la meilleure interprétation masculine remporté par Gilbert Sicotte.
Le vendeur est un film désarmant, bouleversant pour le spectateur, témoin du désarroi d’un homme, en apparence stoïque, au quotidien réglé et contrôlé, happé par un événement tragique. En cela, le talentueux cinéaste a réussi un film puissant et marquant.
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