Statistique Canada vient de publier d’importantes données portant sur les écarts de revenus. Ces statistiques ont été analysées par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) pour le Québec, et par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) pour le Canada.
Depuis 30 ans, les écarts de revenus se creusent. Au Québec, le revenu du 1% le plus riche de la population est aujourd’hui douze fois supérieur au revenu moyen. Au Canada, c’est quinze fois.
À Montréal, le 90 % de la population, moins bien nanti, a vu son pouvoir d’achat diminuer de 224 $ depuis 1982, alors que le 1% a vu le sien s’accroître de 162 000 $.
Ces données corroborent les récents travaux de l’économiste James K. Galbraith. Avec toute une équipe de collaborateurs, Galbraith a travaillé pendant quinze ans à construire une méga base de données qui couvre pratiquement toute la planète. Il y intègre toutes les statistiques disponibles pour chaque pays : industrielles, sectorielles, régionales, etc. Ça lui permet de faire des analyses à l’échelle mondiale ou continentale.
Premier constat, les inégalités se creusent à peu près partout, ce qui accroît l’instabilité économique. Les résultats de ses analyses économétriques surprennent. Le principal élément qui explique l’élargissement des inégalités est l’essor du secteur financier.
Les revenus proviennent davantage de la Bourse que du travail. Les taux d’intérêt appauvrissent les ménages et les pays endettés, tout en enrichissant les prêteurs. La spéculation profite à une minorité.
Devenus un important refuge financier, les États-Unis ont tiré profit des nombreuses crises financières qui ont secoué le monde depuis les années 1980. Cette canalisation de l’épargne vers le secteur financier a alimenté les bulles boursières, creusant d’autant les écarts de richesse. Les boursicoteurs se sont enrichis.
Galbraith démontre qu’entre 1982 et 2000, les écarts se sont accrus partout, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. Les inégalités ont légèrement diminué entre 2001 et 2004, grâce au crédit facile. L’économiste rappelle toutefois que cet accès au crédit a contribué à la crise mondiale qui a, à nouveau, augmenté les inégalités.
L’auteur explique que l’économie réelle suit l’économie financière. C’est le cas aux États-Unis. Au cours des dernières décennies, l’emploi a cru durant les booms financiers et a reculé lorsque la Bourse a plongé.
Toujours aux États-Unis, les autres secteurs ayant généré davantage de revenus sont les technologies de l’information pour les années 1990, puis le secteur militaire pour les années 2000, à cause des politiques de Bush et de ses guerres en Irak et en Afghanistan.
Certains économistes expliquent l’augmentation des écarts de richesse par le retard du niveau d’éducation et de formation des travailleurs sur le rythme du développement technologique, d’où une meilleure rémunération du capital, via la Bourse, que le travail. Or, les recherches de Galbraith ne trouvent pas de corrélation significative et réfutent cette hypothèse.
De façon aussi étonnante, ses travaux montrent que la mondialisation, soit l’essor du commerce international et la délocalisation de l’emploi, expliquent très faiblement l’augmentation des inégalités.
Pour l’économiste, le facteur clé demeure celui de la financiarisation de l’économie. Il aurait été intéressant qu’il développe davantage sur les liens entre mondialisation de la production et du commerce, et l’essor du secteur financier.
James Galbraith affirme que le modèle de développement économique basé sur les inégalités est arrivé à son terme avec la présente crise. Le secteur financier et le crédit ont appauvri la majorité au bénéfice du fameux 1%.
La bulle immobilière a ciblé la dernière classe qui possédait encore un certain pouvoir d’achat, les propriétaires américains qui soutenaient la consommation en hypothéquant à nouveau leurs résidences. Au prix de la crise qu’on connait.
L’auteur montre la nécessité d’une économie basée sur davantage d’égalité. Selon ses travaux, l’inégalité freine davantage l’économie qu’elle ne la stimule. En comparant entre eux les pays européens, il montre que plus les salaires sont élevés, plus il y a d’égalité, plus le nombre d’emplois est élevé, plus le chômage est faible. Habituellement, la productivité et le développement technologique sont aussi au rendez-vous.
Au contraire, les pays ayant adopté des politiques de salaires à la baisse et augmenté l’insécurité de l’emploi, pour plus de « flexibilité » sur le marché du travail, n’ont pas réussi à diminuer le chômage. Les véritables déterminants de la création d’emploi demeurent la consommation et l’investissement.
Selon Galbraith, le seul exemple de croissance de l’emploi accompagné de réformes néolibérales du monde du travail est l’Angleterre des années 1990. Il n’y aurait toutefois pas de lien de causalité dans cette corrélation. La stimulation économique est plutôt attribuable à la dévaluation de la livre sterling, résultat des attaques spéculatives de Georges Soros qui ont, paradoxalement, permis au pays de se sortir de la récession!
Galbraith compte aussi poursuivre ses travaux et nul doute qu’il reste beaucoup d’information à tirer de sa méga base de données.
James K. Galbraith, Inequality and Instability, Oxford, 2012, 324p.
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