L’auteur était l’un des avocats qui a défendu la légalité du projet indépendantiste devant la Cour suprême dans le Renvoi sur la sécession du Québec
Le 9 avril dernier, un banc unanime de trois juges de la Cour d’appel, dont un juge anglophone, a validé la loi 99, intitulée Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec. Cette loi avait été adoptée en 2000 par l’Assemblée nationale, sur proposition du gouvernement Bouchard, à la suite d’un avis majeur de la Cour suprême sur la légalité du projet indépendantiste dans le Renvoi sur la sécession du Québec de 1998. Le préambule de la loi fait voir qu’elle a été adoptée en réaction à la loi fédérale sur la clarté référendaire :
« CONSIDÉRANT que le Québec fait face à une politique du gouvernement fédéral visant à remettre en cause la légitimité, l’intégrité et le bon fonctionnement de ses institutions démocratiques nationales, notamment par l’adoption et la proclamation de la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec (Lois du Canada, 2000, chapitre 26); »
Les motifs de la Cour d’appel ont été rédigés par le juge Mainville. Il a confirmé pour l’essentiel le jugement de la Cour supérieure rendu par la juge Dallaire en 2018. La contestation judiciaire avait été lancée une vingtaine d’années plus tôt par Keith Henderson, un citoyen qui s’active depuis 1994 contre le projet d’indépendance du Québec, représenté par Me Stephen Scott, un professeur de droit de l’université McGill.
Le jugement a reposé en grande partie sur l’avis de la Cour suprême dans le Renvoi. La Cour d’appel a noté que M. Henderson était intervenu sans succès à cette occasion, et que sa contestation de la loi 99 était en réalité une tentative d’amener les tribunaux à revenir sur certains aspects du Renvoi. Celui-ci est généralement perçu dans le milieu juridique comme une étonnante défaite du gouvernement fédéral qui a validé rétroactivement la démarche du gouvernement Parizeau en 1995 et pavé la voie à la réalisation de l’accession du Québec à la souveraineté sur le plan juridique.
La Cour d’appel a réitéré plusieurs des raisonnements de la Cour suprême. Elle a notamment refusé de considérer que le peuple québécois était un sujet de droit parce que ce n’était pas nécessaire pour trancher le litige devant elle. Ce faisant, le juge Mainville est cependant allé plus loin que la Cour suprême en rejetant une définition ethnique qui aurait pu ouvrir la voie à la partition du Québec en limitant le droit à l’autodétermination aux personnes de souche coloniale française. Il a qualifié cette définition ethnique de dépassée en ces termes:
« Au contraire, son argument paraît plutôt fondé sur une conception largement dépassée de l’ordre constitutionnel canadien moderne. En somme, il s’agit là d’un faux débat, qui cherche à nier le concept de peuple au sens civique pour plutôt référer exclusivement au concept de peuple au sens ethnique ou sociologique. Il n’y a pas lieu pour Ia Cour de se laisser entraîner dans un tel débat, par ailleurs inutile sur le plan juridique vu Ia position exprimée à ce sujet dans le Renvoi sur Ia sécession. »
À l’instar de la Cour suprême, la Cour d’appel a refusé également de préciser la procédure de modification constitutionnelle qui serait applicable pour réaliser la souveraineté du Québec sur le plan juridique. Dans le Renvoi, le procureur général du Canada avait plaidé avec insistance que seule la règle de l’unanimité du Parlement fédéral et des dix provinces pourrait être invoquée, ce qui aurait conduit à une impasse juridique après un référendum gagnant. En rejetant cette position, la Cour suprême n’a pas seulement ouvert la voie à un amendement bilatéral de la Constitution dans un cas de sécession. Elle n’a même pas exigé que le Québec participe à cet amendement, ce qui laisse entendre que la légalité constitutionnelle pourrait ultimement être seulement l’affaire du Canada sans le Québec. Il est certain que si j’étais conseiller constitutionnel du Conseil exécutif à un prochain référendum comme je l’étais en 1995, je me préoccuperais davantage de la légalité de l’indépendance en droit international que de celle en droit canadien. Ces deux formes de légalité ne sont pas identiques, et le droit international n’a jamais exigé la légalité en regard de l’État dont on veut se séparer, comme l’a indiqué la Cour internationale de Justice dans son Avis sur le Kosovo en 2010. Cependant, comme la Cour d’appel a évacué toute discussion du droit international du débat sur la validité de la loi 99, cet aspect majeur de la question ne se trouve pas dans son jugement.
Il ne faut donc pas confondre le débat sur la validité de la loi 99, qui repose entièrement sur le droit canadien, avec la légalité du projet indépendantiste, qui découlera en définitive du droit international comme la Cour suprême l’a reconnu dans le Renvoi. Deux référendums ont eu lieu légalement avant la loi 99, qui servira surtout pour la prochaine fois. En 2006, un autre banc de la Cour d’appel avait écrit, sous la plume du juge Dussault dans une affaire ne portant pas sur loi 99, que le Parlement du Québec pourra choisir de faire une déclaration unilatérale d'indépendance valide au sens de la Constitution et qui lierait, par voie de conséquence, les institutions politiques du reste du Canada. Le juge Mainville, malgré une plaidoirie qui lui demandait de corriger cet énoncé, l’a au contraire laissé subsister.
Il semble que cette affaire ne sera pas portée devant la Cour suprême. On pourra maintenant reconsidérer la constitutionnalité de la Loi fédérale sur la clarté, puisque celle-ci n’accepte pas la règle du 50 plus un des votes référendaires qui se trouve dans la loi 99 maintenant validée.
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