À Ottawa, le Comité parlementaire sur les langues officielles examine actuellement la question de l’immigration francophone, c’est-à-dire le nombre de personnes qui connaissent et utilisent le français dès leur arrivée au pays. Évidemment, puisqu’il s’agit du niveau fédéral et donc du régime linguistique canadien des deux langues officielles et des deux « minorités linguistiques », l’accent est mis sur l’immigration francophone jugée nécessaire pour assurer la survie des communautés francophones hors Québec.
Pourtant, la question de l’immigration francophone est au cœur des politiques linguistiques et d’immigration du gouvernement du Québec depuis les décennies. Pourquoi les deux gouvernements ont-ils décidé qu’il faut agir pour augmenter l’immigration francophone ?
Parce que le nombre de personnes qui utilisent une langue dans leur vie quotidienne détermine sa vitalité et sa pérennité et que ce nombre est à la baisse tant au Québec que dans le reste du Canada. Quand ces mêmes personnes se servent de cette langue pour communiquer avec d’autres personnes, elle devient la langue commune. Voici l’objectif politique et stratégique déclaré dans l’article 1 du projet de loi 96 modifiant la Charte de la langue française.
La politique d’immigration québécoise a toujours visé à s’assurer que les personnes qui arrivent au Québec concourront à l’atteinte de cet objectif linguistique.
Quels sont les facteurs qui influencent le choix des personnes immigrantes d’une langue maternelle autre que le français à adopter le français dans l’espace commun ?
Il n’y a malheureusement qu’une seule étude significative qui a examiné cette question en profondeur. Il s’agit d’une étude publiée en 2013 par l’Office québécois de la langue française, intitulée Trajectoires linguistiques et langue d’usage public chez les allophones de la région métropolitaine de Montréal1. Elle est basée sur des données de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle, une enquête entreprise une seule fois par Statistiques Canada à la suite du recensement de 2006. Ironiquement, cette enquête s’intéressait plus précisément aux personnes de langue française à l’extérieur du Québec et de langue anglaise au Québec, compte tenu encore de la politique linguistique canadienne.
L’étude de l’OQLF définit des indicateurs de langue d’usage public pour ensuite analyser quels facteurs, dans le parcours linguistique d’une personne immigrante (allophone ou anglophone) installée dans la région métropolitaine, influencent son choix d’utiliser le français dans l’espace commun. Le parcours commence à la naissance (langue maternelle et le pays d’origine des parents), passant par la langue de l’éducation, jusqu’à la langue parlée à la maison et la langue d’usage public, couvrant donc la période avant et après l’arrivée au Québec et inclut même les enfants nés au Canada des personnes immigrantes.
Les constats sont nombreux et significatifs. Arrêtons-nous à quelques facteurs en particulier qui exercent une influence majeure sur la langue d’usage public de ces personnes.
Langue parlée à la maison, un facteur déterminant
« Les résultats de l’étude montrent très clairement que chez les adultes allophones, le fait d’avoir adopté le français comme principale langue d’usage au foyer […] est associé à une utilisation beaucoup plus fréquente du français dans l’espace public que lorsque le français n’est pas présent à la maison. » (p. 16) En fait, « dans les parcours de vie, la présence du français ou de l’anglais dans la sphère privée, qu’il y ait eu ou non transfert linguistique, est fortement associée à l’utilisation d’une de ces langues dans la sphère publique. » (p. 6) « Plus les personnes sont jeunes à l’arrivée, plus il y a de transferts linguistiques. » (p. 8)
Il est également important de noter à quel moment le transfert s’effectue. « Parmi les immigrants ayant fait un transfert vers le français, 62 % l’ont fait avant l’arrivée au Canada, alors que 38 % l’ont fait après. Chez les immigrants qui ont effectué un transfert après l’arrivée au Canada, les transferts sont survenus rapidement, la moitié ayant d’ailleurs eu lieu au cours des cinq premières années. » Seulement 15 % des allophones natifs (deuxième génération) ont effectué un transfert vers le français.
La langue du pays d’origine et trajectoire scolaire
Un autre facteur important est le pays d’origine. « Chez les allophones issus de parents originaires de pays francotropes, le degré d’utilisation du français est globalement de 76 %. Chez ceux de pays anglotropes, la fréquence d’utilisation du français ne franchit pas le seuil de 25 %. ». (p. 13)
Et, finalement, « les analyses des facteurs concernant les trajectoires linguistiques scolaires ont démontré que la fréquentation scolaire en anglais est nettement associée à l’utilisation de l’anglais dans l’espace public, de même que la fréquentation scolaire en français est associée à l’utilisation du français en public. » (p. 14) Ce constat s’applique tant aux études primaires et secondaires que post-secondaires.
Il est pourtant à signaler que l’analyse ne fait pas de distinction entre les études faites avant ou après l’arrivée. Trois-quarts de l’immigration permanente au Québec est d’âge adulte. Les études sont donc généralement complétées avant l’arrivée. L’immigration temporaire est 100 % adulte, sauf pour le 4 % d’enfants de moins de 15 ans détenant un permis d’étude.
Ces conclusions démontrent que l’importance du parcours linguistique avant même l’arrivée est critique pour l’adoption du français comme langue d’usage public.
Il faut donc instaurer des mesures pour accueillir dans la mesure du possible les personnes immigrantes ayant déjà choisi le français avant d’arriver. Celles qui viennent de pays francotropes, qui ont fait leurs études en français, et parlent déjà le français à la maison. Pour les personnes qui ne parlent pas encore le français dans leur vie quotidienne, il est critique que celles d’âge scolaire étudient en français et que celles d’âge adulte soient francisés le plus rapidement possible. Cela s’applique autant pour l’immigration francophone à l’extérieur et à l’intérieur du Québec.
L’immigration temporaire à l’encontre des objectifs linguistiques
Tout ceci est rendu beaucoup plus difficile, sinon impossible, avec le système d’immigration à deux étapes en vigueur actuellement au Québec et au Canada. Quand des personnes qui obtiennent leur résidence permanente sont sélectionnées dès l’étranger avec des points pour certains critères ou caractéristiques, tout en en priorisant le recrutement dans des pays francophones ou francotropes, il est possible que la majorité ait le profil linguistique recherché.
Mais quand ces personnes ont déjà passé plusieurs années à travailler ou à étudier au pays, la sélection est basée presqu’uniquement sur les résultats d’un test linguistique. Si leur séjour « temporaire » s’est passé essentiellement en anglais et que leurs enfants ont été inscrits dans les écoles anglaises, est-ce raisonnable de penser que la réussite d’un test de français sera garante d’un transfert linguistique vers le français? De plus, le Québec n’a pas de moyens administratifs systémiques permettant d’intervenir rapidement pour franciser les personnes qui arrivent avec un statut temporaire. Il ne sait même pas si elles ont l’intention de rester.
Sous la pression des changements apportés au système d’immigration canadien, le Québec s’est écarté d’un système d’immigration permanente où les personnes sont sélectionnées dès l’étranger selon la grille de sélection québécoise et en priorisant des arrivées en provenance de pays francophones et francotropes. Entretemps, le Canada fait de la concurrence dans le recrutement des francophones. Il a compris que l’immigration temporaire prend le dessus et il a mis en place un permis de travail temporaire ouvert rendant la vie plus facile pour les employeurs hors Québec qui recrutent des francophones. Une belle reconnaissance que le français a besoin de protection partout au pays ! Est-ce que le Québec a même pensé à demander la même chose ?
Le gouvernement Legault a un regard économique utilitariste, provincialiste et myope de l’immigration. S’il tient à ses objectifs linguistiques, il faudra une vision à long terme pour cet enjeu critique concernant l’avenir du Québec.
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