Qu’avez-vous à proposer, monsieur Legault ?

2022/06/17 | Par Sylvain Martin

À la fin du mois de mai, la CAQ tenait son dernier congrès national avant la tenue d’élections qui auront lieu en octobre prochain. Je m’attendais à entendre M. Legault profiter de l’occasion pour nous présenter certains des enjeux de la campagne électorale à venir. À tout le moins, comme Premier ministre qui aspire à un autre mandat, à exposer sa vision du Québec de l’avenir.

Il a plutôt choisi de lancer un cri d’alerte sur une possible « louisianisation » du Québec, si le gouvernement fédéral ne lui octroyait pas plus de pouvoirs en matière d’immigration. M. Legault a déclaré : « Je demande, aux prochaines élections, un mandat fort pour aller négocier ça avec le gouvernement fédéral. C’est une question de survie pour notre nation ! »

C’est très décevant de voir un parti politique qui forme le gouvernement placer comme enjeu majeur des prochaines élections le rapatriement de pouvoirs en matière d’immigration. D’ailleurs, l’entièreté du congrès de la CAQ avait comme toile de fond la fierté d’être Québécois. Pourtant, ce ne sont pas les enjeux qui manquent dans notre société. À ce congrès, il n’y avait rien sur les services de santé, la façon de s’occuper de nos aînés, l’éducation, la pénurie de main-d’œuvre, ou encore la hausse du coût de la vie. Rien, rien, rien ! 

La CAQ a plutôt choisi de se comporter comme un nouveau parti politique qui cherche à se créer une identité et faire sa place sur l’échiquier politique au lieu de jouer son rôle de parti politique qui forme le gouvernement. Certains analystes politiques ont prétendu que cette façon de faire était purement électoraliste et permettait à la CAQ d’éviter d’être questionnée sur le bilan de son premier mandat. Si c’était ça leur véritable intention, c’est d’autant plus désolant.

Faut-il rappeler que le gouvernement de M. Legault a les coudés franches pour agir. Sans réelle opposition depuis le début de la pandémie, il gouverne avec 76 députés et députées et, si les sondages se concrétisent, il pourrait se retrouver à la tête d’un gouvernement largement majoritaire avec près de 100 députés, députées. Avec de telles intentions de vote, un parti politique ne peut pas se contenter de faire de la politique identitaire et passer outre aux grands enjeux de notre société. Ça frôle le mépris des électeurs et des électrices que de leur dire qu’on a besoin d’un appui massif de leur part seulement pour aller chercher plus de pouvoirs en matière d’immigration ou, pire encore, d’entendre le premier ministre Legault déclarer à l’Assemblée nationale : « Si vous nous élisez, vous aurez un chèque à l’automne. »

Nous sommes en droit de nous attendre à ce qu’un chef de parti politique qui jouit d’un si grand appui et qui aspire à le conserver nous dise ce que son parti entend faire une fois réélu et quelle est sa vision pour le Québec du futur.
 

La santé

Monsieur Legault, quelle est votre vision concernant les services de santé ? La pandémie nous a révélé l’importance d’avoir un système de santé public fort, un système que son sous-financement et ses multiples réformes sans réel dialogue social avec les intervenants du réseau ont mis à mal. Qu’est-ce que le gouvernement Legault compte faire pour maintenir un système de santé public fort ?

Que compte-t-il faire pour pallier la pénurie de main-d’œuvre ? Le recours actuel au privé pour désengorger certains secteurs en santé, est-ce pour une durée déterminée ? Ou est-ce que ce sera la nouvelle façon de faire ? Est-ce que l’idée que chaque personne résidant au Québec ait un médecin de famille attitré est toujours la voie à suivre ou devrions-nous plutôt chercher une façon de faire pour que chaque personne ait accès au système de santé public selon ses besoins ?

Serait-il préférable que les personnes qui ont besoin d’un suivi médical à cause de leur condition physique ou mentale actuelle ou anticipée aient un professionnel de la santé attitré pour s’assurer d’un suivi adéquat ? Et que, pour les problèmes ponctuels, il y ait à notre disposition, dans toutes les régions, des établissements avec une équipe multidisciplinaire qui pourrait répondre à ces besoins de différentes manières, que ce soit en personne ou à l’aide de moyens technologiques.

Quelle place voulez-vous, monsieur Legault, pour le Québec dans la recherche médicale ? Que voulez-vous faire pour assurer un accès aux médicaments à tous les Québécois et Québécoises ? Il a été démontré à plusieurs reprises par différents groupes que le système d’assurance médicaments du Québec ne fonctionne pas adéquatement.
 

L’éducation

Que comptez-vous faire concernant notre système d’éducation ? Depuis la Commission Parent, dans les années 60, il n’y a pas eu de réelle réflexion en éducation au Québec. Nous avons eu des réformes à la pièce, entre autres, sur l’état de nos écoles, la place de l’enseignement religieux, l’enseignement de l’anglais, l’instauration des centres de la petite enfance ou encore l’interdiction du port de signes religieux. Même si ces réformes ont eu leur importance, il n’y a eu aucune réflexion en profondeur sur le système d’éducation.

Ne serait-il pas temps, monsieur Legault, de marquer un temps d’arrêt et se demander : que voulons-nous comme système d’éducation ? Quelle formation générale voulons-nous que nos étudiants et étudiantes aient acquise à la fin de leur parcours scolaire ? Est-ce que nous voulons que notre système scolaire serve uniquement à répondre aux besoins de main-d’œuvre du Québec ?

Voulons-nous un système scolaire qui donne une chance égale à tous d’apprendre, selon ses capacités intellectuelles, et de se réaliser comme être humain, peu importe son statut social, ses origines, son sexe ou son handicap ? Voulons-nous que nos établissements scolaires soient des lieux d’apprentissage et de débats où on y forme et éduque des personnes capables de s’exprimer et d’avoir une pensée critique ? 
 

L’environnement

Que comptez-vous faire concernant l’environnement ? Tout comme plusieurs chefs d’États, qui font le choix de tenter de positionner leur pays comme leader mondial dans la « production verte », vous voulez que le Québec devienne un leader en production de véhicules électriques et de leurs composantes, qu’il soit un producteur de ressources vertes comme l’aluminium vert, producteur et distributeur d’énergie verte, etc. ?

Que comptez-vous faire concernant la réduction de la consommation en général ? Que prévoyez-vous faire pour que la lutte aux changements climatiques et la réduction des gaz à effet de serre ne se fassent pas au détriment des travailleurs et des travailleuses ? Que comptez-vous faire pour accueillir les immigrants issus des flux migratoires qui seront causés par les changements climatiques ?

Maintenant que nous avons presque atteint le plein emploi à cause, entre autres, du vieillissement de la population, que comptez-vous faire pour qu’une personne qui travaille à temps plein et les personnes à sa charge puissent vivre décemment, dans la dignité, sans avoir de la difficulté à se loger et se nourrir, comme c’est malheureusement de plus en plus le cas aujourd’hui ?

Ce ne sont là que quelques questions qui méritent réflexion plus tôt que tard. Un parti politique qui aspire à former le gouvernement se doit de réfléchir à ce genre de questions. Je crains que ce ne sera pas le cas avec M. Legault et la CAQ d’ici la prochaine élection. Il faudra que les grandes centrales syndicales et tous les acteurs sociaux et économiques jouent leurs rôles d’agents de changement dans la société et forcent la CAQ à proposer autre chose que de contrer une possible louisianisation de Québec.