Le scandale de la Fonderie Horne

2023/09/29 | Par Marc Nantel

Voyage au bout de la mine (Écosociété) de Pierre Céré est un excellent document historique mettant en lumière le scandale de la Fonderie Horne. Pierere Céré est originaire de Rouyn-Noranda et, comme toute la population vivant autour de la Fonderie-Horne depuis 100 ans, a été exposé aux émissions toxiques provenant de l’usine appartenant aujourd’hui à Glencore. Cette multinationale, reconnue aujourd’hui comme l’une des plus riches entreprises au monde siégeant en Suisse, a des pratiques commerciales  fortement critiquables : évasion fiscale, utilisation de paradis fiscaux et  versements de pots-de-vin qui lui ont valu plusieurs poursuites et des amendes très élevées.

Le livre de Pierre Céré a été produit en pleine tourmente citoyenne à la suite des révélations de deux études de biosurveillance produites par la Santé publique. Un vaste mouvement citoyen s’est créé à partir de 2019 afin de forcer le gouvernement à faire respecter les normes des émissions atmosphériques québécoises qui sont largement dépassées pour le cadmium, le plomb et l’arsenic. Il est à noter que l’entreprise bénéficie depuis 2007 d’un passe-droit octroyé par les autorisations ministérielles (anciennement attestations d’assainissement) émises aux cinq ans.

La population de Rouyn-Noranda s’est vue exposer, pendant des décennies, à des teneurs d’arsenic annuelles dans l’air ambiant avoisinant 200 ng/m³ ce qui a augmenté le nombre de cancers du poumon, de naissances de bébés de faibles poids, de maladies pulmonaires obstructives chroniques et de troubles neurologiques dans la population.

Une company town

L’auteur trace l’évolution du complexe minier Horne de la Noranda Mines depuis sa mise en production en 1927 jusqu’à aujourd’hui. Cette entreprise opère depuis le début en menaçant de cesser ses opérations si les gouvernements qui se succèdent osent lui exiger des ajustements. Le livre cible bien les enjeux sociaux et environnementaux dès la mise en service de la minière Horne. Noranda est une  company town

« Sous le gouvernement Taschereau des années 1920, cela va jusqu’à ‘‘mettre à l’abri Noranda Mines Limited de toute poursuite pour les dommages causés à l’environnement du district de Rouyn par sa fonderie’’. Pourquoi? Parce qu’on sait déjà à cette époque que ‘‘les gaz sulfureux qui se dégagent de ses fourneaux détruisent la végétation dans un rayon de quelques milles’’. Cette information date du 14 août 1924. »

Cette entente dresse la table à ce que vont subir les travailleurs et la population pour les 100 prochaines années.

Pierre Céré fait une grande place dans son livre au mouvement syndical qui a joué un rôle prépondérant dans l’amélioration des conditions de travail.

« Nous allons décrire comment le seul fait de s’organiser en syndicat et, pire, de revendiquer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail s’est toujours heurté, historiquement, à un monde fermé, souvent répressif, toujours manipulateur. La société de Rouyn-Noranda en porte toujours les stigmates. »

À titre d’exemple, la « grève des Fros » (diminutif de foreigners, terme péjoratif employé par les francophones) en 1934 fut un des évènements marquants, qui a provoqué l’engagement des Canadiens français comme nouvelle main-d’œuvre, plus docile, pour remplacer celle composée à l’époque par les « communistes immigrants».

L’auteur campe la mobilisation citoyenne et syndicale lors de la prise de conscience environnementale et sanitaire autour des années 70.

La mine Horne a fermé ses portes en 1976, mais la Fonderie Horne a continué ses opérations en recyclant des résidus provenant majoritairement des États-Unis et du Canada.

 « Ainsi, en 1984, la Fonderie Horne construit un circuit de recyclage des matières électroniques [qui] permet de récupérer la quasi-totalité des métaux précieux et du cuivre. »

Le milieu de vie de Rouyn-Noranda devient hautement contaminé par les émissions de la Fonderie. On y décrit comment l’environnement a subi une détérioration sans précédent, surtout à cause des émissions de soufre communément appelées les pluies acides.

Le mouvement syndical s’inquiète dans les années 80 pour la santé des travailleurs de l’usine. L’auteur alloue un chapitre sur l’opération Mont Sinaï.

« Orchestrée par le Syndicat de la Mine Noranda au début des années 1980, il s’agissait d’étudier la santé des travailleurs. Cette gigantesque entreprise syndicale lèvera non seulement le voile sur les graves problèmes de santé vécus par les travailleurs de la fonderie, mais aussi sur ceux tout aussi graves reliés à la santé publique et à la santé environnementale. »

La pression syndicale, la mobilisation citoyenne et les relations Canada-USA ont forcé l’entreprise à construire une usine de traitement des émissions de SO2 et de les transformer en acide sulfurique.  Pierre Céré souligne avec justesse que les gouvernements provincial et fédéral ont payé la facture au complet même si l’usine bénéficie encore des profits de la vente de l’acide sulfurique.

La mobilisation citoyenne

En 2004, lors d’une grève, le syndicat a lutté pour la protection de la santé des travailleurs qui sont exposés au béryllium depuis dix ans. L’auteur souligne à grands traits leur travail. Toutefois, dans la nouvelle crise débutant en 2019, il fait le constat que le syndicat actuel de la Fonderie Horne brille par son silence; la crainte de la fermeture de l’usine étant la raison principale justifiant ce silence. On est loin de l’engagement des syndicats précédents envers la protection de ses membres et de la population.

De plus en 2004, après un pic annuel de 1041 ng/m³ en 2000, un comité interministériel recommande que la fonderie réduise ses émissions d’arsenic à 10 ng/m³ en dix-huit mois dans le quartier Notre-Dame et ensuite à 3 ng/m³. Ce qui n’a jamais été mis en branle.

L’essai traite largement des enjeux actuels de la santé publique et environnementale qui ont été mis en évidence dans les deux études de biosurveillance. Il souligne, à raison, que l’élément déclencheur de la mobilisation citoyenne gravite autour du retrait de l’annexe 6 de la deuxième étude. Cette annexe présente des données alarmantes sur le nombre de cancers du poumon à Rouyn-Noranda et des autres maladies. On note que l’espérance de vie de la population qui demeure à proximité de la Fonderie  est inférieure de cinq ans à la moyenne québécoise. Au cœur de cette saga, on trouve le Dr Arruda qui nie avoir caché le plus longtemps possible ces données.

Une nouvelle mobilisation citoyenne s’est enclenchée en avril 2019 en réponse à la circulation des données du rapport de la première étude de biosurveillance. Le document traite de la prise de conscience du pouvoir tentaculaire de Glencore, du silence de la classe politique et de notre rapport colonialiste aux régions.

Quoique la nouvelle autorisation ministérielle soit insatisfaisante aux yeux d’une partie de la population, l’auteur note que la lutte citoyenne a fait toute la différence dans le resserrement des règles.

Le travail de recherche préalable à cette publication est remarquable. Après la lecture de ce document, on peut mieux comprendre pourquoi, aujourd’hui encore,  la population de Rouyn-Noranda est aux prises avec les contaminants de la Fonderie Horne. La menace d’une éventuelle fermeture fonctionne toujours