Une critique de la stratégie de transition énergétique

2024/03/15 | Par Marc Nantel

L’ouvrage de Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle: enquête sur les métaux à l’ère de la transition (Éditions de la rue Dorion, 2024), est un incontournable. Journaliste et philosophe, spécialiste des nouvelles technologies à travers leurs impacts sociaux et environnementaux, Mme Izoard analyse la stratégie de transition énergétique dictée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Cette stratégie serait, selon ces derniers, une nécessité dictée par la décarbonatation de l’économie.  

Dès le début de l’essai, l’auteure met en doute la stratégie de décarbonatation qui repose sur le développement minier des métaux critiques et stratégiques afin d’électrifier le transport et l’économie. Elle pose la question-choc : comment peut-on imaginer réduire nos émissions de CO2 par l’augmentation de la filière la plus énergivore et la plus polluante que représente l’industrie minière?

Depuis des siècles, l’industrie minière perpétue le régime capitaliste en favorisant l’industrialisation de l’économie. Elle est responsable d’une destruction incalculable de territoires à travers le monde. Elle  expose les populations à des poussières toxiques, empoisonne leur eau et parfois assèche des territoires complets.

L’auteure décrit la réalité du développement actuel des minières à l’aide d’exemples percutants tirés du  Maroc, des États-Unis, du Chili et de plusieurs autres pays. Loin du discours populaire qui veut que l’industrie ne soit plus ce qu’elle était, elle dresse un portrait global peu reluisant, mettant en lumière les impacts négatifs éternels des parcs de stériles et de résidus miniers qui sont oubliés dans l’imaginaire collectif.

Une stratégie pour favoriser l’acceptabilité sociale

À ses yeux, la stratégie de transition énergétique est une façon d’augmenter l’acceptabilité sociale en donnant une image positive tout en cherchant à culpabiliser toute personne qui oserait la critiquer. Les autorités mettent l’emphase sur la décarbonatation sans toutefois indiquer que les ressources minérales extraites serviront majoritairement à continuer le développement techno économique. Chiffres à l’appui, elle démontre la poussée exponentielle à venir de la demande en minéraux pour développer la 5G, l’aéronautique, les produits militaires et le transport maritime, le tout sous prétexte d’électrifier l’économie.

Son travail de recherche l’amène à déboulonner complètement la stratégie de la transition énergétique mise en place. À titre d’exemple, elle indique l’impossibilité  d’électrifier dans son ensemble les entreprises comme les minières. Au mieux, une entreprise minière pourrait électrifier sa cafétéria ou ses bureaux.

Cette poussée vers la transition énergétique ne fera qu’ajouter à l’offre énergétique actuelle des hydrocarbures sans la diminuer.

La course à la production des minéraux

Pour l’auteure, la stratégie de décarbonatation par la transition énergétique de l’économie n’est qu’une joute géopolitique entre la Chine, l’Indochine, la Russie, les pays européens et les États-Unis.

Pour comprendre les enjeux actuels, elle dresse un portrait historique très large :

Dans les années 1970 à 2000,  les États-Unis et l’Europe dominaient le monde minier mondial. La force militaire a souvent été utilisée pour renverser les régimes politiques comme celui d’Allende au Chili, assassiné en 1973, qui tentait de nationaliser les mines de son pays.  Ce coup d’État a permis de privatiser les mines et de forcer l’adoption de mesures fiscales à l’avantage des propriétaires de mines.

Une autre stratégie utilisée dans cette période, pour déposséder les pays du Sud des retombées de l’exploitation minière et dominer le monde minier, consistait à imposer l’extractivisme par la dette. Les pays endettés et soumis aux accords de prêts étaient contraints de modifier leurs codes miniers de façon à faciliter l’extraction à grande échelle au profit de multinationales. Entre 1980 et 2000, au moins soixante-dix pays ont modifié leurs codes miniers sous la pression de la Banque mondiale. S’en suivit un appauvrissement de ces pays.

L’affrontement Chine-États-Unis

À partir de l’an 2000, la Chine, en plus d’exploiter les gisements de son propre territoire, s’est constitué un empire minier planétaire. Elle est aussi devenue leader mondiale en raffinage des métaux qu’ils soient extraits de son propre sol ou importés, ce qui lui a permis de dominer le marché mondial des matières premières.

Ce nouveau paradigme a fragilisé grandement l’économie américaine et son développement militaire, car elle est devenue dépendante de pays comme la Chine pour s’approvisionner en ressources pour maintenir sa domination économique et militaire.

En 2021, les nouvelles politiques américaines consistaient à reprendre le contrôle des métaux dit stratégiques et critiques. Le tout est présenté comme un plan pour électrifier le transport,  mais dans les faits seuls un petit pourcentage des MCS seront voué à la production d’une économie verte. Le reste servira à sécuriser l’indépendance des États-Unis face à son compétiteur.

Décroissance et réduction du développement minier

Madame Izoard voit le concept de « mine responsable » comme une chimère bureaucratique qui ne peut mener à la décarbonatation de l’économie. Un appel à la décroissance est, selon elle, la solution à mettre de l’avant. Il faut mettre fin au régime techno capitalisme que nous vivons depuis le XVIII siècle.

Pour contrecarrer la stratégie d’extractivisme pour la transition énergétique, elle ne voit pas de moyens capables de convaincre les autorités de diminuer leur production de ressources minérales. La complicité entre les politiques et l’industrie est ancrée dans les pratiques depuis trop longtemps. Le pouvoir du citoyen réside dans la force d’interruption et non dans une logique de proposition.

L’auteure critique les fausses solutions. Elle explique en détail que le recyclage de nos résidus ne pourra combler les besoins en métaux critiques et stratégiques nécessaires pour la transition. La majorité des métaux sont peu recyclables et ne se recyclent pas indéfiniment. De plus, la quantité requise n’est pas encore extraite du sol. Pour ce qui est de recycler des haldes de résidus miniers et stériles, les procédés causent beaucoup de contamination. Au mieux le risque sanitaire est égal à une mine classique.

Madame Izoard propose plutôt de provoquer une décroissance en établissant des règles qui forceraient l’arrêt d’activités minières pour des raisons de force majeure. On parle de force majeure lorsqu’un projet se trouve dans une zone sensible (qualité de l’eau, milieux humides et hydriques, etc.), en présence de glaciers, dans des régions menacées de sécheresse, dans des zones sujettes aux typhons ou d’autres événements climatiques. Une telle approche protégerait une grande quantité de territoires à travers le monde.

Afin d’amener la population à se mobiliser, il faut avant tout faire la lumière sur les conséquences environnementales et sur l’augmentation des inégalités entre les populations mondiales qui sont touchées par cette soi-disant transition énergétique.

Le pouvoir d’interruption passe par une augmentation de la solidarité internationale, d’où l’importance de connaître les impacts destructeurs de l’augmentation de l’extractivisme dictés par la transition énergétique.

Il est également important d’établir des priorités dans le développement économique en distinguant l’extraction de luxe de l’extraction de subsistance.