Le REM de Wall Street

2023/10/06 | Par Pierre Dubuc

Dans un texte paru sur le site de Radio-Canada, le 1er septembre 2023, le journaliste Alec Castonguay y va de révélations très intéressantes sur la naissance du Réseau électrique métropolitain (REM).

Il raconte comment le projet de confier à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) découle des pressions exercées par les agences de notation de New York sur le gouvernement nouvellement élu de Philippe Couillard en 2014.

En campagne électorale, le Parti libéral avait promis de faire redémarrer l’économie québécoise en investissant 15 milliards de dollars sur dix ans dans des projets d’infrastructures, dont plusieurs milliards dès un premier mandat.

Mais – scénario classique – le gouvernement nouvellement élu constate que le déficit budgétaire de 1,75 milliard de dollars prévu par le gouvernement sortant ne tient plus. Les fonctionnaires du ministère des Finances l’évaluent à plus du double, voire du triple.

Bien plus, les fonctionnaires du ministère des Finances, qui sont en communication constante avec les grandes agences de notation et de crédit de New York (Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch), font état de rumeurs qu’elles s’apprêteraient à baisser la cote de crédit du Québec.
 

Sur les traces de Lucien Bouchard

Philippe Couillard confie à Alec Castonguay – et pour la première fois publiquement – qu’il a décroché le téléphone pour rassurer les agences de notation. Il s’engageait personnellement à rétablir les finances publiques.

Le premier budget Leitão, déposé en juin 2014, prévoit finalement un déficit de 2,35 milliards de dollars. Treize des vingt-deux ministères subissent des compressions importantes, dont 19 % au ministère de l’Environnement. Et la promesse de dépenser 15 milliards de dollars en infrastructures sur 10 ans disparaît pour de bon, rappelle Alec Castonguay.

Ce faisant, Philippe Couillard marchait dans les traces de Lucien Bouchard. Rappelons les faits. Dans un article paru dans le journal Les Affaires du 5 novembre 2005, Lucien Bouchard a révélé comment, à la fin juin 1996, il était accouru à New York – dans un avion loué pour que la chose demeure secrète – pour rencontrer les financiers de Wall Street qui menaçaient de décoter le Québec.

On connaît la suite. Ce fut le sommet du déficit zéro avec ses compressions budgétaires dont on subit encore les conséquences, particulièrement dans le réseau de la santé, et, au plan politique, le démantèlement de la coalition des Partenaires pour la souveraineté que M. Parizeau avait mise sur pied. Les milieux d’affaires pouvaient se réjouir. La menace d’un nouveau référendum était écartée. Pour une deuxième fois en moins d’un an, l’argent venait de battre les souverainistes.

Au cours de sa carrière, Jacques Parizeau avait développé une autre attitude à l’égard des milieux financiers. Dans un documentaire, il déclarait, après avoir expliqué comment il avait réussi, sous le gouvernement Lesage, à briser le syndicat financier qui avait provoqué la défaite de Duplessis en 1939 et intimidait les gouvernements du Québec : « Si tu n’es pas baveux avec les banques, elles vont te manger tout cru. »
 

Les partenariats public-privé

Revenons au récit de Castonguay. Philippe Couillard, qui est un lecteur assidu du magazine britannique The Economist – la bible du néolibéralisme, – constate que les caisses de retraite et les grands fonds de pension du monde investissaient dans les infrastructures. Particulièrement en Europe et en Asie – l’Eurostar en France ou l’aéroport de Heathrow à Londres – mais aussi au Canada avec la Canada Line à Vancouver. Alors pourquoi pas la Caisse de dépôt au Québec?!

Michael Sabia, le PDG de la Caisse, est alors convoqué au bureau du premier ministre. Philippe Couillard raconte à Castonguay se souvenir du sourire de Sabia lorsqu’il lui fait part de son projet de confier à la Caisse la mission d’investir dans de gros projets d’infrastructures : « C’est comme s’il attendait impatiemment qu’un gouvernement lui en parle. »

Sabia ajoute qu’il ne veut pas seulement investir dans de grands projets d’infrastructures au Québec, mais qu’il veut en être le gestionnaire, l’opérateur, comme la CDPQ le fait déjà dans l’immobilier. Il ajoute que si la CDPQ embarque dans les projets du train léger sur rail du pont Champlain et de la navette entre l’aéroport et le centre-ville, le gouvernement devra rester à l’écart autant que possible. Pas question de choisir le trajet, les arrêts ou de se mêler des appels d’offres et du choix des fournisseurs. Couillard répond : «J’ai accepté. C’était leur argent, après tout.» Avis à ceux qui croient que la Caisse administre «notre» argent et que «notre» gouvernement a autorité sur la Caisse.

Castonguay poursuit : « Quelques jours après l’annonce de la création de la filiale CDPQ Infra, Philippe Couillard prend la direction de son premier Forum économique mondial de Davos. Un matin, il assiste à une conférence sur l’implication des caisses de retraite dans les projets d’infrastructures. L’homme qui monte sur scène pour prendre la parole devant les riches et puissants de la planète est… Michael Sabia! »

Sabia invente à ce moment-là l’expression qui sera régulièrement utilisée par la suite pour décrire les projets de la CDPQ Infra au Québec : partenariat public-privé.
 

La Banque de l’infrastructure du Canada

La journaliste Linda McQuaig affirme que le Réseau électrique métropolitain (REM) a servi de modèle pour la création de la Banque de l’infrastructure du Canada. Dans son livre The Sport & Prey of Capitalists. How the Rich Are Stealing Canada’s Public Wealth (Dundurn, 2019), elle dévoile les tractations secrètes qui ont mené à la création de la Banque de l’infrastructure du Canada.

Selon McQuaig, la conception de cette banque, telle qu’elle apparaissait dans la plate-forme électorale du PLC, a complètement été transformée après une rencontre à Davos, à la fin du mois de janvier 2016, entre Justin Trudeau et le financier Larry Fink, organisée par Dominic Barton. Ce dernier était alors directeur général de la plus importante firme de consultation au monde, McKinsey & Company, et Fink était le PDG de BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs sur la planète. Michael Sabia deviendra le premier président du conseil d’administration de la Banque de l’infrastructure.

McQuaig rapporte les déclarations de Michael Sabia au Toronto Board of Trade. «Pour des investisseurs spécialisés dans le long terme, les offres d’investissements dans les infrastructures ne sont pas faciles à trouver aujourd’hui; un investissement stable avec un retour entre 7% et 9% avec peu de risques de pertes – c’est exactement ce dont nous avons besoin pour répondre aux besoins à long terme de nos clients.»

C’est le modèle du REM. Il est financé à un taux d’intérêt de huit pour cent, soit le rendement minimum assuré à CDPQ Infra, alors que le gouvernement provincial pourrait obtenir un taux de trois ou quatre pour cent.

Entre sa présidence à la Banque de l’infrastructure et sa nomination à la tête d’Hydro-Québec, Sabia a été sous-ministre des Finances du Canada où il a fait inclure dans le dernier budget un crédit d’impôt remboursable de 15% pour les investissements dans les systèmes de production d’électricité sans émission (comme l’éolien ou le solaire), de production d’électricité au gaz naturel (dans laquelle les émissions sont en partie captées), dans les systèmes de stockage de l’électricité et l’équipement de transport d’électricité entre les provinces et territoires.

Un autre crédit d’impôt remboursable, celui-là de 30%, s’appliquera aux investissements dans « les machines et l’équipement utilisés pour fabriquer ou transformer les principales technologies propres ainsi que pour extraire, transformer ou recycler certains minéraux critiques ».

Tout cela est à mettre en lien avec le plan Biden de découplage des minéraux stratégiques d’avec la Chine en prévision d’un affrontement militaire avec l’empire du Milieu et les pressions de Washington pour le développement rapide de l’exploitation minière au Québec et au Canada. Une une économie de guerre en gestation présentée sous la fallacieuse expression de «transition énergétique».

Dans toute cette perspective, constatons encore une fois sans surprise que Michael Sabia a déclaré être favorable à des partenariats public-privé avec Hydro-Québec. Et le tandem Legault-Fitzgibbon d’approuver! Rien de quoi rassurer ceux qui craignent une privatisation en douce de ce fleuron québécois.

Nous conseillons donc à ceux qui cherchent à comprendre la récente frénésie du gouvernement Legault à augmenter de 50% la production d’électricité au Québec de regarder attentivement du côté de Wall Street et de Washington.