Le prix des loyers va plus que doubler d’ici 2030

2023/10/11 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

Nous vivons une véritable crise du logement. À cause des prix et des taux d’intérêt, il n’y a pratiquement plus de nouveaux acheteurs. Les locataires qui doivent déménager paient des prix de fous. Il manque cruellement de logements sociaux et l’itinérance touche désormais toutes les régions et villes du Québec.

Mon collègue Denis Trudel, porteur notamment du dossier du logement au Bloc Québécois, achève sa tournée du Québec sur cette question. Nous attendons son rapport au cours des prochains mois. Nous savons déjà que, depuis qu’Ottawa s’est retiré du logement social, il y a une trentaine d’années, le Québec a essayé de sauver les meubles et que la situation est moins pire au Québec qu’ailleurs au Canada.

Justin Trudeau a réinvesti dans logement abordable, mais jamais suffisamment pour rattraper le retard. Et il préfère le concept de logement abordable à celui de logement social, car c’est un concept flou. Les sommes octroyées ne se retrouvent pas toujours dans le logement réellement abordable.
 

Des millions de dollars bloqués

De plus, l’argent voté à Ottawa prend des années pour se rendre sur le terrain. Cherchant toujours à accaparer des champs de compétences qui ne sont pas les siens, Ottawa négocie des ententes province par province et se bute au Québec, qui, lui, défend ses compétences. Il en résulte que les ententes Ottawa-Québec sont toujours les dernières à être signées.

Présentement, il y a 900 millions $ à la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) qui pourraient servir à financer des projets de logements sociaux au Québec. Mais ils sont bloqués, faute d’une entente Ottawa-Québec. Un autre exemple : la SCHL tarde à signer avec la Société d’habitation du Québec (SHQ) une entente pour la rénovation des 4 481 unités d’habitation qui sont inoccupées. Il faut croire que la crise actuelle n’est pas assez grave pour accélérer les délais à Ottawa!

Si le marché de l’habitation s’est autant détérioré, c’est que la demande en logements est plus grande que l’offre disponible. Il faut, entre autres, davantage de logements sociaux pour les personnes et les ménages à plus faibles revenus. Dans le contexte de hausse des taux d’intérêt, les mises en chantier ralentissent, amplifiant le problème. Ottawa supprime la TPS pour la construction de nouveaux logements locatifs, mais l’effet de cette mesure devrait être très marginal. L’absence de logements et de logements sociaux exige qu’on stimule l’offre. Mais il faut aussi prendre en considération la hausse spectaculaire de la demande, directement liée à l’augmentation de la population.
 

L’effet du boom de l’immigration

Commentant les dernières statistiques démographiques, Nicolas Bérubé de La Presse a récemment titré son article :« Du jamais vu depuis le baby-boom ». Il rapporte les propos de Laurent Martel, le directeur de la division de la démographie à Statistique Canada : « Quelque 400 000 résidents permanents ont été admis au pays au cours des 12 derniers mois, tandis qu’environ 600 000 résidents non permanents sont arrivés au Canada au cours de la même période. » Bien évidemment, les travailleurs temporaires ont aussi besoin d’un toit. Les nouvelles constructions n’arrivent pas à répondre à cet afflux d’un million de personnes.

Selon le chroniqueur économique de La Presse, Francis Vailles, la pénurie de logements va continuer à s’aggraver, poussant les loyers à la hausse : « L’une des principales raisons n’a rien à voir avec la spéculation, l’offre de logements ou les normes municipales, mais avec la demande, notamment le boom d’immigration planifié par Ottawa. » Il rappelle que ce constat est aussi partagé par les analystes de la Banque Nationale.

Francis Vailles se réfère à une récente étude de la SCHL intitulée Pénurie de logements au Canada – Mise à jour sur la quantité de logements nécessaire d’ici 2030. Selon leur scénario de référence, les économistes calculent qu’il manquera 3,5 millions de logements dans sept ans! Au Québec, pour combler les besoins, il faudrait dès maintenant multiplier par trois le nombre de mises en chantier.

Et la situation est nettement plus préoccupante que le scénario de base de l’étude. Car ce scénario utilise la hausse moyenne de la population observée entre 2010 et 2020, alors qu’elle est actuellement beaucoup plus élevée. Et les objectifs sont à la hausse. Ottawa s’est engagé, sur la base du rapport de la Century Initiative de la firme McKinsey à faire passer la population canadienne à 100 millions de personnes en 2100.

En tenant compte des dernières données démographiques, qui tiennent compte des résidents non permanents, la SCHL a confirmé aux membres du Comité des Finances que le scénario de base devrait être dépassé, de même qu’un autre scénario basé sur une croissance démographique plus élevée.

Déjà, leur scénario de base inquiète, mais il devrait inquiéter encore plus avec la prochaine mise à jour des taux de croissance de la population qui devrait refléter les récentes données démographiques.
 

Essor de la migration interprovinciale

Pour répondre à cette hausse démographique, plus de 4 millions de logements devront être construits. Fait majeur, 27% des besoins en nouveaux logements sont au Québec, soit 1,1 million de logements. L’étude est claire, même si le Québec ne sélectionne que 12% de l’immigration totale, 27% des besoins en nouveaux logements seront chez nous. D’où vient cet écart? De la migration interprovinciale.

Puisque le coût des loyers est beaucoup plus élevé en Ontario et en Colombie-Britannique qu’au Québec malgré les récentes hausses démesurées, la SCHL prévoit une forte migration des provinces vers le Québec. Selon ce scénario, la SCHL prévoit que le prix des loyers au Québec va plus que doubler d’ici 2030! Bref, les récentes hausses, aussi spectaculaires soient-elles, ne seraient qu’un début.

Donc, l’objectif d’Ottawa d’arriver à 100 millions d’habitants en 2100 – soutenu par les libéraux, les conservateurs et les néodémocrates – ne constitue pas seulement un risque sévère pour la survie du français ou la marginalisation du Québec dans le Canada, mais vient accentuer la pénurie de logements à cause de la migration interprovinciale.

On le constate déjà à Montréal et dans les régions, de plus en plus d’Ontariens et de Britanno-Colombiens viennent s’installer au Québec à la recherche d’un logement plus abordable. Cette migration accroit la pénurie de logements au Québec. Ce phénomène est encouragé par le télétravail.

À Montréal, c’est un autre coup dur pour la langue française. Ces migrants provinciaux sont dans leur pays, ils sont habitués à vivre dans la langue de Shakespeare et ils seront nombreux à ne pas faire l’effort d’adopter notre langue officielle dans la vie de tous les jours.

Le Québec a toujours été et sera toujours une terre d’accueil. L’immigration permet d’enrichir notre culture et dynamise notre société. Or, les seuils records déterminés par Ottawa font que nous n’aurons pas les infrastructures suffisantes pour accueillir dignement autant de monde aussi rapidement.

Développer de telles infrastructures prend du temps. C’est vrai pour le logement, mais aussi pour l’éducation et la santé. Si le Québec choisit d’accueillir moins d’immigrants, l’étude de la SCHL montre que son choix est contrecarré par la migration interprovinciale. Notre demi-État n’est pas souverain et ne peut adopter pleinement les politiques nécessaires. Encore une fois, les projets du voisin vont déterminer notre avenir.