Tous les drapeaux rouges signalent que le système d’immigration au Canada et au Québec est hors de contrôle.
Près de 2 millions de demandes d’immigration en attente de traitement
Commençons avec le nombre de dossiers en attente de traitement au niveau fédéral. Un reportage de CBC en date du 22 mars dernier cite des chiffres de Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Le 1er février 2022, plus de 1,8 millions de dossiers d’immigration – permanents, temporaires et de citoyenneté – étaient en attente de traitement ! Le nombre de demandes de résidence permanente avait baissé d’à peu près 30 000 depuis la fin octobre pour atteindre 519 030. Les demandes de citoyenneté, rendues à 448 000, baissaient au même rythme. Si on n’ajoute pas à la pile, ça prendra presque cinq ans pour toutes les traiter.
Mais on persiste à ajouter à la pile ! Le nombre de demandes de permis temporaires a augmenté de 73 000 entre la fin octobre et le début février et le gouvernement fédéral poursuit sa mission d’allègement des conditions pour les permis d’études et de travail. Il y aura certainement plus de deux millions demandes de permis de séjour temporaire à traiter en amont des 451 000 pour résidences permanentes prévues en 2024. On sait qu’il y avait 1 149 445 titulaires de permis ouverts, fermés et d’études au Canada le 31 décembre 2021.
Ces personnes généreront une bonne proportion des nouvelles admissions parce que le gouvernement fait tout pour faciliter le passage de statut temporaire à permanent. (En 2021, près de la moitié de toute l’immigration permanente au Canada – approximativement 75 % de la catégorie économique – était constituée des personnes préalablement titulaires de ces trois types de permis temporaires.) Au Québec, en 2019, 86 % des personnes sélectionnées étaient déjà sur le territoire avec un statut temporaire.
Plus on augmente le nombre de personnes à statut temporaire, plus il faudra augmenter les cibles d’immigration permanente parce que les demandes de Certification de sélection du Québec (CSQ) et de résidence permanente dépasseront les seuils établis. Il serait politiquement suicidaire de refuser de recevoir leurs demandes. Sinon, ces personnes, installées et intégrées au pays depuis des années, perdront leur statut temporaire et devront quitter.
Finalement, autour de 85 % des personnes avec un statut de résidence permanente demandent la citoyenneté au Canada.
On ne verra pas bientôt une baisse significative du nombre de demandes d’immigration.
Accroissement majeur des budgets en immigration
Recevoir plus de demandes veut dire augmentation des coûts :
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85 M$ annoncés l’automne dernier pour baisser les inventaires;
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Dans le budget dévoilé le 5 avril, on prévoit 2,673 G$ sur cinq ans et 441,3 M$ millions de dollars annuellement par la suite en nouveau financement;
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En 2022-2023, 43,5 M$ sont prévus dans le budget pour « maintenir le soutien fédéral aux services d’aide juridique à l’immigration et aux réfugiés ».
Augmentation fulgurante de politiques ad hoc
Ce ne sont pas que les volumes, les délais et les ressources qui signalent une perte de contrôle. Il y a également la multiplication des « politiques d’intérêt public ». Ce mécanisme, prévu dans la loi fédérale sur l’immigration (Art 25.2), permet au ministre de changer les règles d’octroi de la résidence permanente, s’il « estime que l’intérêt public le justifie. » En fait, on voit que le dispositif sert également à modifier les règles qui s’appliquent à l’immigration temporaire. Certaines de ces politiques sont sans date d’échéance, d’autres pour une période clairement définie.
Utilisées rarement pendant plusieurs années, le nombre de ces politiques a pris un envol extraordinaire récemment.
Elles touchent souvent des situations ponctuelles et des clientèles très spécifiques (les personnes à statut temporaire subissant les conséquences des incendies en Colombie-Britannique; le parrainage privé des personnes réfugiées de la Syrie et de l’Iraq). Elles peuvent aussi être assez générales. Par exemple, une forme d’exemption des exigences linguistiques pour les personnes qui ne peuvent pas être évaluées en raison d’un handicap physique ou mental.
On y voit aussi des exemples discriminatoires et clairement politiques. Par exemple, en 2020, l’une d’elles visait « à attirer au Canada des jeunes instruits de Hong Kong, dont on s’attend à ce que leur capital humain et leur expérience internationale contribuent au tissu économique, social et culturel du pays. En même temps, la réponse du Canada témoigne de sa solidarité avec d’autres alliés aux vues similaires, de son appui solide à l’égard des valeurs démocratiques et de sa défense de celles-ci. » Il y a sûrement des jeunes instruits ailleurs dans le monde qui aimeraient être sauvés des régimes autoritaires et répressifs.
Le gouvernement fédéral se sert également de son contrôle sur l’immigration temporaire pour modifier des règles. Il a annoncé le 1er avril des assouplissements au Programme des travailleurs étrangers temporaires qui va sensiblement plus loin que l’entente négociée avec le Québec. En 2016, il a créé un nouveau permis ouvert dans le cadre du Programme de mobilité internationale pour les employeurs hors Québec qui embauchent des francophones de l’étranger. L’immigration francophone est pourtant tout aussi importante au Québec. Pourquoi exclure les employeurs québécois de cet avantage ?
Il y a des exemples d’incohérences presque inexplicables. Depuis plusieurs années, le fédéral vante sa politique de rétention des étudiantes et étudiants étrangers. Et, pourtant, il n’a jamais modifié le règlement de l’immigration exigeant que la personne faisant une demande d’études au Canada démontre qu’elle quittera le pays à la fin de son séjour.
Les 40 000 Afghans annoncés arriveront avec un statut de réfugié, mais les Ukrainiens auront un permis de séjour (et de travail) spécial de trois ans. Des fonds viennent donc d’être annoncés pour subvenir temporairement à leurs besoins d’installation parce qu’ils n’auront pas les mêmes droits que les personnes réfugiées.
Chaque fois qu’on annonce une nouvelle priorité, il faut évidemment rediriger des ressources humaines et financières allouées initialement au traitement des dossiers réguliers.
Manque de consultation avec les provinces
Il n’y a aucune consultation systématique avec les gouvernements provinciaux avant la prise de ces décisions. On ne tient aucunement compte des besoins en logement ou en services de garde. Aucune considération de l’effet de cette augmentation rapide de la population sur les écoles, les systèmes de santé et de services sociaux, le transport en commun.
En grande partie, il n’y a aucun moyen d’assurer un arrimage quelconque entre l’expertise et l’expérience de travail de ces nouvelles arrivantes et nouveaux arrivants et les besoins locaux du marché de travail. Par la pensée magique, le gouvernement fédéral intitule cette section du budget « L’immigration pour l’économie du Canada ».
Québec à la remorque
Le Québec est à la remorque du fédéral à bien des égards. Il n’a pas de contrôle sur les délais de traitement fédéraux. Il improvise autant que le fédéral avec de nouveaux programmes qui prennent plus de temps que prévu et qui ne donnent pas les résultats escomptés. Il encourage aussi l’immigration temporaire, ce qui augmente le nombre de demandes de CSQ. Il poursuit donc la sélection.
Ensuite, ces personnes sélectionnées deviennent victimes des longs délais de traitement fédéraux, rendus encore plus longs par le fait que le Québec ne veut pas ouvertement augmenter ses seuils d’immigration permanente. Le fédéral va ralentir l’octroi des visas de résidence permanente au Québec pour respecter ces seuils.
Dans un tel contexte, est-ce que le gouvernement de la CAQ songe sérieusement à tenir des consultations cet été sur les seuils d’immigration permanente comme si de rien n’était ?
L’immigration est un projet foncièrement humain. Comment le réussir pour les personnes qui migrent, pour la société d’accueil et pour la société d’origine, sans une vision claire soutenue par une infrastructure législative et administrative efficace ?
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