Immigration : ce que Legault devrait savoir

2022/06/08 | Par Anne Michèle Meggs

Puisque, selon le Premier ministre, la « survie de la Nation » dépend des pleins pouvoirs pour le Québec en matière d’immigration, il est de mise de clarifier encore plus précisément les pouvoirs actuels du Québec dans le domaine et d’identifier ce que monsieur Legault pourrait réclamer de plus.

L’immigration est une compétence partagée. Les deux niveaux de gouvernements peuvent légiférer dans le domaine. Seule limitation, les lois provinciales sur l’immigration ne peuvent être incompatibles avec une loi fédérale. La Loi sur l’immigration au Québec est une loi complexe et d’envergure et elle ne contredit aucunement une loi fédérale. Le Québec peut modifier cette loi à sa guise et l’a fait à plusieurs reprises. Même la CAQ a modifié cette loi.

L’Accord Canada-Québec sur l’immigration et l’admission temporaire des aubains (étrangers) signé en 1991 n’est donc pas une simple entente administrative selon laquelle le gouvernement canadien délègue certains de ses pouvoirs à une province. Il est un accord quasi constitutionnel qui définit comment les deux gouvernements vont se partager les responsabilités dans un domaine où les deux peuvent légiférer. Une des deux parties peut l’ouvrir sur un avis de six mois mais, s’il n’y a pas d’entente sur les modifications, l’Accord continue à s’appliquer. (art. 33) Aucun processus de résiliation n’est prévu.

Une analyse de l’Accord préparée par une recherchiste de la bibliothèque du Parlement en 1991 (révisée en 1998) a commenté l’article 33 ainsi : « On peut supposer que cette disposition a été rédigée de cette façon parce qu’à l’origine, l’Accord devait faire partie de la Constitution après l’adoption de l’Accord du lac Meech. »

Examinons donc les pouvoirs spécifiques reliés aux préoccupations du premier ministre concernant la réunification familiale et du ministre de l’Immigration et de l’Emploi concernant l’immigration temporaire.
 

Une certaine prise sur les demandes de réunification familiale

Nous avons décidé d’aller à la source et de poser des questions directement à André Burelle, le négociateur principal du gouvernement canadien de l’Accord. M. Burelle nous apprend que « le Québec tout comme le Canada ont convenu d’emblée, lors de la négociation de l'Accord Canada-Québec sur l’immigration et l’admission temporaire des aubains, que la réunification familiale et l’accueil des réfugiés constituaient des politiques humanitaires sacrées. Et comme ces politiques relevaient en bonne partie du droit international, il fut décidé qu’elles demeuraient, pour l’essentiel, de compétence fédérale ». Mais M. Burelle continue : « le Québec a demandé et obtenu un mécanisme lui permettant de prévenir, voire de corriger les abus de pouvoir d’Ottawa. Car il s’est fait reconnaître la responsabilité exclusive du suivi de l'engagement des parrains, ainsi que de la fixation et de l’application des normes financières imposées aux parrains par le fédéral. »

Pour être encore plus précis, M. Burelle explique que :
« A) Si le Québec réclame les pleins pouvoirs en matière de réunification familiale, il faudra ouvrir l’Accord, mais les chances que le fédéral abandonne tous ses pouvoirs en ce domaine sont nulles.  L'accord demeurera donc fermé.

B)  Si le Québec réclame simplement le pouvoir de baliser ou moduler l’exercice des pouvoirs du fédéral en matière de réunification familiale, nul besoin pour cela d’ouvrir l’Accord.  Car l’Accord reconnaît déjà au Québec le pouvoir de baliser l’exercice des pouvoirs fédéraux en matière de réunification familiale. »

Comme plusieurs commentateurs et experts l’ont souligné, rendre la réunification familiale conditionnelle à une connaissance (suffisante ?, intermédiaire ? M. Legault ne le précise pas) du français serait inhumain, et ne changerait en rien la courbe de la place de la langue française au Québec.

Cela étant dit, il y a beaucoup plus que le gouvernement pourrait faire pour encourager et faciliter la francisation des personnes parrainées dans ce programme. À l’heure actuelle, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) ne demande aucune information linguistique de la part de la personne qui fait une demande de sélection permanente dans la catégorie de regroupement familial ni de la part de la personne qui parraine. Rien sur la langue maternelle ni sur la connaissance du français. Cette information serait critique à la planification des besoins en services de francisation. Elle permettrait aussi un suivi ciblé des personnes qui auraient besoin de ces services.

De plus, on demande à la personne qui parraine de signer un engagement de « fournir l’accompagnement nécessaire dans les démarches d’intégration telles que l’aide à la recherche d’emploi et à l’inscription scolaire ainsi que le soutien en matière d’accès aux services publics et de participation à la vie collective », mais rien sur l’obligation d’accompagner, au besoin, la personne parrainée dans ses efforts d’apprendre le français.
 

Plus de conditions possibles à l’immigration temporaire

Quant à l’immigration temporaire, nous avons déjà expliqué que l’Accord prévoit que le Québec donne son consentement à toute personne qui fait une demande d’étudier ou de travailler temporairement sur le territoire. À cet égard, les éclairages de M. Burelle sont très clairs :

« Depuis l’Accord Cullen-Couture, le Québec a le droit de s’opposer à l’octroi d’un permis de séjour temporaire aux étudiants et aux travailleurs étrangers qui frappent à sa porte. Et il pourrait exercer ce droit de refus sur la base de critères clairement définis touchant 1) la langue (quotas d’étudiants anglophones et imposition aux aspirants à la résidence permanente de l’obligation d’inscrire leurs enfants à l’école française dès leur arrivée au Québec); et 2) la région d’implantation (obligation d’étudier en région excentrique, là où il y a pénurie d’étudiants plutôt que dans la région de Montréal). Le Québec pourrait ainsi encadrer les demandes de résidence temporaire à l’aide de cette grille appliquée par les autorités québécoises avant de les acheminer vers Ottawa. Et dans le calcul annuel du nombre d’immigrants qu’il désire recevoir, le Québec pourrait inclure ouvertement ceux qui entrent actuellement par une porte arrière cachée. Qui plus est, tout cela pourrait se faire à l’aide de procédures définies par le Comité mixte prévu dans l’Entente McDougall-Gagnon-Tremblay. »

Par « une porte arrière cachée », M. Burelle fait référence à l’immigration à deux étapes. L’Accord tenait pour acquis que l’immigration demeurerait essentiellement à une étape au Québec et au Canada. Il précise même que toute demande de résidence permanente se fera à partir de l’étranger. Les négociateurs ne pouvaient prédire que les études internationales et le travail temporaire deviendraient un jour l’étape préalable et privilégiée à la résidence permanente.

Le Québec peut ajouter des conditions linguistiques à son consentement à l’admission des étudiantes et étudiants internationaux et aux travailleuses et travailleurs étrangers qui demandent un permis fermé. Il peut exiger des employeurs qui embauchent du personnel de l’étranger de fournir des cours de francisation en milieu de travail aux personnes qui en ont besoin.

Il peut également signaler qu’il s’attend à ce que le consentement du Québec soit respecté pour les personnes demandant un permis ouvert. Ce groupe représente des dizaines de milliers de résidentes et résidents non permanents au Québec chaque année.
 

Quels pouvoirs de plus ?

Demeure la question épineuse des délais de traitements des demandes québécoises de résidence permanente et de permis temporaire. Elle découle largement du traitement en double de ces demandes. Si le fédéral est tenu d'accorder la résidence permanente aux détentrices et détenteurs d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ) et d'attendre le consentement du Québec pour délivrer un permis de séjour temporaire (Certification d’acceptation du Québec, CAQ), pourquoi ces documents ne suffisent-ils pas pour entrer et s’établir au pays ?

L’Accord prévoit même un forum pour résoudre les incompatibilités qui peuvent surgir entre les politiques des deux gouvernements. L’Annexe A institue « le Comité mixte qui a pour mandat général de favoriser l’harmonisation des objectifs économiques, démographiques et socioculturels des deux parties en matière d'immigration et d'intégration, et de coordonner la mise en œuvre des politiques du Canada et du Québec découlant de ces objectifs ».

Quels sont les vrais objectifs du gouvernement ?

Nous avons fait la démonstration que le gouvernement a déjà des pouvoirs en immigration pour atteindre ses objectifs démographiques (niveaux d’immigration tenant compte du nombre de permis temporaires qui seront consentis), linguistiques (sélection des francophones, conditions linguistiques sur l’immigration temporaire), et même économiques (sélection selon des besoins du marché du travail, conditions sur l’immigration temporaire).

Le problème pour le gouvernement est moins la question des pouvoirs que la priorisation de ses objectifs en immigration. M. Legault en veut-il moins pour éviter la « louisianisation », ou plus pour les raisons démographiques et économiques. Est-il préoccupé par le poids de la population québécoise au sein du Canada ou la baisse générale de la population, tels qu’illustrés par Marc Termote ? Veut-il une immigration et intégration équitables qui protègent les travailleuses et travailleurs étrangers ? A-t-il un souci pour les pays d’origine, dont on vole souvent les mieux nantis et les plus éduqués ?

On n’entend pas le Premier ministre revendiquer une place aux tables internationales qui influencent les migrations ni le contrôle des frontières ni le pouvoir d’accorder la citoyenneté au Québec, un enjeu énorme de « fierté » et d’appartenance. Il dit savoir déjà que 50 000 résidentes et résidents permanents respectent notre capacité d’accueil quand il n’y a même pas de consensus sur ce que cela veut dire.

Toutes ces questions et bien d’autres pourraient être abordées sereinement et rigoureusement lors des États généraux ou Sommet sur l’immigration que, semble-t-il, un nouveau gouvernement de la CAQ organiserait. Une idée fort intéressante qui sera creusée dès la rentrée à l’automne.

Bon été à toutes et à tous.