Le débat sur les étudiants étrangers s’anime

2023/08/25 | Par Anne Michèle Meggs

L’autrice a été directrice de la planification au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Elle vient de faire paraître L’immigration au Québec : comment on peut faire mieux, Éditions du Renouveau québecois, 2023.
 

Pourquoi est-il si difficile pour les Libéraux fédéraux (le NPD aussi) de comprendre la réalité du partage des compétences au Canada entre le gouvernement fédéral et les provinces? La réaction de la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette, à la suggestion de Sean Fraser n’était pas du tout surprenante.

Il n'appartient pas à un ministre fédéral du Logement ou de l'Immigration de s'asseoir avec les établissements postsecondaires pour suggérer qu'ils acceptent moins d'étudiants internationaux parce qu'il a une pénurie de logements. De plus, ces ministres fédéraux devraient comprendre que le problème n'est pas seulement dans les grandes villes. L'Université du Québec à Rimouski a dû appeler en juin plus de deux-cents étudiants qui avaient rempli toutes les formalités administratives liées aux permis d'études pour leur dire de ne pas venir parce qu'il n’y avait pas d'endroit où les loger. Des étudiants indiens de l'Université du Cap-Breton ont dû abandonner leurs rêves et rentrer chez eux très endettés parce qu'il n'y avait pas d'endroit où vivre ou travailler.

L'éducation, incluant l'enseignement supérieur, est une juridiction provinciale et, comme nous le savons, les provinces ont permis aux établissements postsecondaires (collèges et universités) de devenir financièrement dépendants des frais de scolarité scandaleusement élevés des étudiants internationaux.

L’une des raisons pour lesquelles le nombre d’étudiantes et étudiants étrangers a grimpé en flèche est que le gouvernement fédéral, surtout libéral, a décidé de les attirer, pour des raisons d’immigration, d’économie et de main-d’œuvre, en créant et en promettant une voie vers l’immigration permanente.

À la fin de 2018, on comptait 566 955 titulaires de permis d’études au Canada. Cette même année, la dernière pour laquelle les données sont disponibles, ces jeunes « ont contribué à hauteur d’environ 21,6 milliards de dollars au PIB du Canada et soutenu près de 170 000 emplois1». À la fin de 2022, il y avait 807 750 titulaires de permis d’études au pays. On voit la pertinence économique dans l’éducation internationale! Attention : on parle de PIB national et non de PIB par habitant.

Jusqu’à novembre 2022, un permis d’étude permettait au titulaire de travailler un maximum de vingt heures par semaine pendant les sessions d’étude et à temps plein pendant les congés d’hiver et d’été. En novembre dernier, toute restriction de travail a été éliminée. Tant pis pour les études, la main-d’œuvre à bas salaire prend le dessus. Autre indice de l’importance de l’anneau d’or de la résidence permanente dans ce domaine, les inscriptions de l’étranger au niveau collégial ont récemment dépassé pour la première fois celles au niveau universitaire.

Comment le fédéral a-t-il permis que l’éducation internationale devienne un chemin vers la résidence permanente? Par deux changements en particulier. Il a rendu les permis de travail post-diplôme essentiellement automatiques et a ajouté des permis de travail ouverts pour les conjointes et conjoints des personnes avec un permis d’étude ou un permis pour le travail spécialisé. Celles-ci sont en grande partie des personnes titulaires d'un permis de travail post-diplôme. Ces trois types de permis sont des permis ouverts dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI).

De cette manière, le conjoint ou la conjointe peut travailler à temps plein et parfois devenir admissible à la résidence permanente même avant la personne qui est aux études. La demande de résidence permanente s’applique à toute la famille. Il y avait 393 630 titulaires de ces trois types de permis au Canada à la fin de 2022, dont 48 460 au Québec.

La création des permis de conjoint, une mesure évidemment gentille en soi, a l’effet (voulu?) d’augmenter le nombre de travailleuses et travailleurs probablement à bas salaire. En fait, on en sait très peu sur les titulaires de ces permis. On ne connait pas le profil de ces personnes, leur formation, leur scolarité, leur expérience de travail. Puisqu’il s’agit des permis ouverts, elles ne sont même pas obligées d’occuper un emploi.

Pour l’ensemble des titulaires de permis du PMI à la fin de 2021, sous la rubrique « catégorie professionnelle », 77 % se trouvent à la ligne « a l’intention de joindre au marché du travail2». Si on était cynique, on dirait que la vraie motivation pour ces permis de conjoint est de réduire le nombre d'éventuelles demandes de réunification familiale. Le délai d'attente pour la résidence permanente dans le programme familial est d'un an au Canada anglais, de deux ans au Québec.

Le gouvernement fédéral peut parler de réduire le nombre de titulaires de permis d’étude sans baisser ses seuils extraordinaires d’immigration parce que les personnes à statut temporaire ne comptent pas dans les cibles d’immigration permanente. Si le gouvernement fédéral veut baisser l’immigration temporaire, il pourra bien le faire sans toucher à un domaine de responsabilité provinciale. Il pourrait commencer par suspendre les permis de conjoint et être plus sélectif sur les permis de travail post-diplômes. Cela signifierait en revanche être plus transparent sur les chances de résidence permanente. Réduire le recours à l’immigration temporaire pour pourvoir des postes permanents à bas salaire serait une autre avenue possible.

Le ministère fédéral des Affaires mondiales a mis en place un processus de consultations sur le renouvellement de la Stratégie de l’éducation internationale 2019-2024, qui s’est terminé en juin. Monsieur Fraser en était-il au courant avant de se prononcer sur le sujet? Mme Fréchette a-t-elle été invitée à y participer? Et Mme Déry, ministre de l’Enseignement supérieur? On est dû, au Québec, pour un débat sur le lien entre l’enseignement supérieur et l’immigration. Ça ne fait pas partie des consultations sur les seuils d’immigration permanente qui auront lieu en septembre. Mais, une chose est claire, un tel débat ne devrait pas être réduit à une discussion sur le nombre de chambres en résidence ou de logements abordables disponibles.

Peut-être que les Libéraux pourraient reconnaître leur part de responsabilité pour la pénurie de logements et réfléchir à ce qu’ils peuvent faire rapidement et facilement sans empiéter sur les compétences provinciales ? Bien sûr, la politique étant ce qu’elle est, il est plus facile de rejeter la responsabilité de l’inaction sur les autres acteurs.
 

1 Canada, Stratégie de l’éducation internationale 2019-2024 https://www.international.gc.ca/education/strategy-2019-2024-strategie.aspx?lang=fra

2 Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, 2015-2021 L’immigration temporaire au Québec https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/immigration/publications/fr/recherches-statistiques/Portraits_Immigration_Temporaire_2015_2021.pdf